Apporter une réponse africaine à la crise financière mondiale et présenter une position commune avant le sommet mondial sur cette question devant se tenir à Washington, telle est l'ambition affichée par la conférence des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales africaines. Ouverte, mercredi matin à Gammarth (banlieue nord de Tunis) par M.Mohamed Ghannouchi, premier ministre, cette réunion entend porter les points de vue des premiers responsables des économies africaines au sommet qui réunira le 15 novembre courant, les pays développés et les pays émergents du G20. Le premier ministre a affirmé que la tenue de cette conférence trois jours avant le sommet du G20, constitue une occasion de faire entendre la voix de l'Afrique aux grands décideurs de la planète. Il a relevé « nous attendons avec impatience les mesures qui seront prises lors de ce sommet devant aboutir à des décisions concrètes pour repenser l'architecture financière mondiale et agir sur les raisons de la crise ». Le premier ministre a indiqué que la crise financière qui s'est déclenchée aux Etats-Unis s'est transformée en une profonde crise économique mondiale qui a touché les pays développés, émergents et en voie de développement. Les efforts déployés par les grands pays ont pu stabiliser la situation économique internationale, mais n'ont pas eu d'impact sur la récession qui touche outre les Etats-Unis et l'Union Européenne, de plus en plus de pays. C'est ainsi que la demande internationale a régressé, ce qui constitue une source de préoccupation majeure pour tous les pays dans le monde, a t-il souligné, affirmant « Nous devons mobiliser toutes nos énergies pour relancer la croissance et permettre aux pays qui jouent la carte de la mondialisation de ne pas être pénalisés ». M. Ghannouchi a évoqué les réformes entreprises par les pays africains, tout en faisant observer que l'Afrique risque de subir le contrecoup du fléchissement des cours des matières premières, ce qui peut freiner la dynamique de certains pays africains. Le Premier ministre a souligné l'importance pour l'Afrique de redéployer les énergies, en mettant l'accent sur l'agriculture et la réalisation de l'autosuffisance alimentaire et l'investissement dans l'infrastructure et les équipements collectifs pour améliorer l'environnement des affaires. Il s'agit, également, de former un capital humain plus apte à assurer une combinaison optimale des facteurs de production. Pour cela, il importe, selon lui, de déployer davantage d'efforts en matière de promotion des ressources humaines (formation, éducation, santé). L'Afrique est appelée, a affirmé le premier ministre, à promouvoir un partenariat gagnant-gagnant avec les pays développés. S'agissant de la Tunisie, M. Ghannouchi, a indiqué que le pays a développé un approche basée sur le compter sur soi, l'ouverture sur l'extérieur et la multiplication des accords de coopération et en premier lieu la signature d'un accord d'association avec l'Union Européenne. Depuis le 1er janvier 2008, nous sommes en totale zone de libre-échange avec l'Union Européenne pour les produits industriels. Ce processus d'intégration et d'ouverture progressive sur l'extérieur a été accompagné par la mise en œuvre d'une série de réformes et programmes ambitieux qui ont touché tous les domaines social, économique et financier. M. Ghannouchi a ajouté que ces réformes ont été accompagnées, par la mise en place d'une infrastructure moderne dans les domaines du transport, des TIC et des zones industrielles, ce qui a permis au pays d'améliorer considérablement l'environnement des affaires et de réaliser un progrès socio-économique important. En effet, grâce à une politique menée sous l'impulsion du Président Ben Ali, conjuguant ouverture, prudence et rigueur, la Tunisie a pu surmonter les difficultés conjoncturelles et réaliser une croissance de 5% en moyenne par an durant les 10 dernières années, tout en préservant les équilibres internes et externes et en consolidant les acquis sociaux à travers notamment la réduction de la pauvreté, l'augmentation de la couverture sociale et l'amélioration des conditions de vie des citoyens. Cette croissance a été générée, a t-il souligné, par une amélioration significative de la productivité notamment dans les secteurs exposés à la concurrence internationale et par un développement soutenu des exportations. M.Ghannouchi a relevé que les résultats encourageants réalisés par la Tunisie sont le fruit d'une diversification de la base productive et du renforcement de la compétitivité de l'économie tunisienne comme en témoignent les notations des différentes agences de rating qui confèrent à la Tunisie le statut d'investisseur sur le marché financier international. Ces succès confortent la Tunisie dans ses choix surtout dans cette conjoncture internationale difficile caractérisée par la crise financière. Certes les facteurs à l'origine de la crise financière n'existent pas en Tunisie, a-t-il fait observer. En effet, le système de titrisation demeure fort limité, les prêts fonciers sont accordés à des taux d'intérêt fixes prenant en compte la capacité de remboursement des bénéficiaires et la participation étrangère à la bourse de Tunis se limite à 25% de la capitalisation boursière. Les placements des réserves tunisiennes en devises sont régis par des règles prudentielles strictes et sont sous forme de titres souverains et dans la limite de 30% de dépôts auprès des banques de premier rang. Le premier ministre a avancé « nous ne baissons pas cependant les bras. Nous pensons que nous avons des marges d'amélioration de la compétitivité qui peuvent nous permettre de réduire l'impact de la récession qui se précise dans les pays développés ». Des mesures sont d'ores et déjà annoncées pour préserver la dynamique de croissance et de création d'emplois. L'action gouvernementale s'articulera, comme cela a été annoncé par le Président de la République, autour de 5 axes principaux, en l'occurrence, l'amélioration des prestations fournies par le secteur public et l'optimisation des procédures du commerce extérieur, la consolidation du secteur bancaire, l'accélération des programmes d'investissements publics essentiellement dans le domaine de l'infrastructure et des équipements collectifs, le renforcement de la formation professionnelle et la préservation des fondamentaux dans les domaines économiques et financiers. Car l'enseignement majeur que l'on peut tirer de la crise actuelle et des crises précédentes, c'est qu'au delà des mesures à court terme pour en contenir les effets, il faut préparer l'économie pour l'avenir par des actions à moyen terme, a précisé M. Ghannouchi. Ce genre de crises doit être en effet davantage une occasion pour approfondir les réformes en vue de renforcer la compétitivité de l'économie qui constitue le principal moyen pour tirer profit des opportunités offertes et minimiser les risques de la mondialisation, a t-il conclu. Intervenant à cette conférence, M. Donald Kaberuka, président du groupe de la banque africaine (BAD) a estimé que l'Afrique a été épargnée jusque-là par les premiers effets de la contagion de la crise financière mondiale. Les institutions bancaires sont demeurées relativement solides et les risques à court terme restent limités. Les réformes économiques et financières engagées ces deux dernières décennies ont consolidé nos banques. Il reste que nous ne pouvons pas ne pas être touchés, a-t-il averti. Nous constatons déjà la difficulté d'accéder à des ressources financières. A l'évidence, le ralentissement de l'économie mondiale entraînera une contraction générale du secteur privé et des faillites, notamment dans les secteurs tributaires de la demande internationale. Il est impérieux, selon lui, pour les pays riches de donner un coup de fouet à l'économie et de restaurer la confiance dans le système. Il importe de ce fait, d'approfondir les réformes au lieu de les alléger a avancé le président du groupe de la BAD, estimant que les efforts doivent viser à mieux gérer le capitalisme mondial et parallèlement à ne pas étouffer l'innovation financière. L'objectif est en effet de changer les règles pour assurer la stabilité financière du système. M. Abdoulie Janneh, secrétaire exécutif de la commission économique des nations-Unies pour l'Afrique (CEA) a évoqué, quant à lui, les risques que fait encourir la récession de l'économie globale sur l'effort de développement en Afrique et notamment sur les financements destinés à lutter contre la pauvreté et la malnutrition. M. Jean Ping, président de la commission de l'Union Africaine a rappelé la dernière déclaration du G20 à Sao Paulo, selon laquelle « les économies émergentes et en développement doivent avoir une plus grande voix et représentativité dans les institutions de Bretton Woods ». Exigence des plus logiques assurément avec une prise de conscience planétaire de la nécessité d'une gestion collective et solidaire de la crise et de ses conséquences. Il a souligné l'importance d'associer l'Afrique et l'union africaine et ses institutions panafricaines aux discussions sur ce que sera le monde de demain. La conférence est organisée par la banque africaine de développement (BAD), la commission économique des Nations-Unies pour l'Afrique (CEA) et la commission de l'Union Africaine (CUA). La crise actuelle a montré que personne n'est à l'abri de la contagion. L'Afrique veut donc se faire entendre et voir son point de vue pris en compte. Ces institutions, compte tenu de leur mandat panafricain, entendent jouer ce rôle de représentant de l'Afrique, en complémentarité avec les activités menées à la fois par les communautés économiques régionales et les pouvoirs publics des divers pays.