Lors de son intervention, la psychiatre Anissa Bouaskar a critiqué la précipitation avec laquelle l'amnistie générale a été mise en application au lendemain du 14 janvier 2011 Comment reprendre une vie normale? Comment se réconcilier avec son histoire personnelle lorsqu'on a vécu le cauchemar de la torture pendant les années noires et même après? Ce sont ces réponses que cherchent la quarantaine de victimes accueillies par l'Institut tunisien de réhabilitation des survivants de la torture dans un centre baptisé «Nebras» ( en arabe: lanterne dans un endroit sombre). Composée principalement de médecins, l'équipe «Nebras» tente de faciliter la réinsertion des survivants à la torture. Pour y arriver, le chemin est parfois très long et douloureux car, comme l'explique la psychiatre Anissa Bouaskar, lors d'une conférence de presse organisée hier à Tunis, les stigmates, surtout psychologiques subsistent plusieurs années après l'épisode douloureux. «Ces personnes-là, explique-t-elle, ont du mal à parler de ce qui s'est passé, ont tendance à éviter les contacts visuels et sursautent encore au moindre bruit anodin». Selon l'organisation danoise Dignity dont relève l'institut, les victimes de torture peinent à se défaire de leurs démons et certaines d'entre elles continuent à être harcelées par leurs bourreaux pour les dissuader de les dénoncer. La complexité de la situation des victimes de torture implique souvent un suivi multidisciplinaire tant les séquelles sont énormes. Ainsi ce sont des séquelles à la fois psychologiques (troubles de la mémoire, troubles du sommeil, troubles de la sexualité, sentiment de culpabilité et de honte...), physiques (douleurs chroniques, pathologies neurologiques...) et psychosociales (désinsertion socioprofessionnelle, isolement, dégradation des liens familiaux...). La professeure Anissa Bouaskar décrit le processus de «guérison» comme une reconstitution d'un puzzle pour que la victime puisse comprendre ce qui s'est réellement passé et aller de l'avant. «Nous lui offrons le livre de sa vie en quelque sorte», explique la professeure. Lors de son intervention, elle a notamment critiqué la précipitation avec laquelle a été mise en application l'amnistie générale au lendemain du 14 janvier 2011. «Des gens qui ont subi les pires atrocités et traumatismes on été jetés dans des lieux de travail sans aucun suivi psychologique et sans aucune mise à niveau», a-t-elle déclaré. La préservation des droits des victimes de torture est une des entreprises les plus difficiles. Selon Mme Bouaskar, il est rare qu'un coupable d'actes de torture ait été condamné de par le monde. Une préservation des droits d'autant plus difficile que la législation tunisienne reste encore en retard par rapport aux normes internationales. Le juge Kamel Eddine Ben Hassen, chargé de mission au cabinet du ministre de la Justice, a indiqué que la Tunisie a ratifié en 1988, la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais que la législation locale était restée presque muette sur la question. Il a néanmoins déclaré que les choses s'améliorent. « Aujourd'hui, dit-il, il y a des gens qui sont sujets à des procès pour actes de torture, c'est déjà une avancée importante ». L'organisation a en outre annoncé le lancement d'une équipe chargée d'inspecter les centres de détention.