«Négocier des arrangements à l'amiable en échange de la fin des poursuites judiciaires ». L'idée est lancée par Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale La commission parlementaire de la réforme administrative, de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption au sein de l'Assemblée a reçu hier le gouverneur de la Banque centrale, Chedly Ayari, pour présenter un bilan des travaux non achevés de la commission nationale de restitution des biens mal acquis à l'étranger. Lors de l'audience, Chelly Ayari s'est dit « frustré » de constater que quatre années d'efforts constants et de batailles juridiques n'ont finalement permis de réaliser que de très courtes victoires, dont la plus célèbre est celle du chèque libanais d'un montant de 28 millions de dollars qu'a réussi à récupérer la Tunisie. Un montant qui, comme semble l'insinuer le gouverneur de la BCT, a été restitué entre autres grâce à la médiation d'un haut fonctionnaire qatari. « En plus, je ne suis pas sûr que le chèque ait pu être encaissé par la République tunisienne, renchérit le député Hedi Ben Brahim. Moins d'une année avant la fin officielle des travaux de la commission nationale de restitution des biens se trouvant à l'étranger, le butin reste très maigre : deux avions rapatriés de France et de Suisse, le compte libanais de Leïla Trabelsi et deux yachts, l'un de l'Espagne, l'autre de l'Italie qui « sont en train de rouiller au port », selon les propres termes de Chedly Ayari. Bien que la commission ait pu arracher le gel sur plusieurs comptes et biens se trouvant à l'étranger à l'instar du compte en Suisse d'une valeur de 65 millions de francs suisses, les procédures judiciaires engagées par l'Etat tunisien dans plusieurs pays européens et du Moyen-Orient sont très lentes et peuvent encore traîner durant des années sans aucune garantie de résultats satisfaisants. Le ballon d'essai Et si on laissait de côté ces interminables procédures en faveur du règlement à l'amiable avec la médiation d'agences internationales spécialisées ? C'est l'idée que lance, comme un ballon d'essai, le patron de la BCT en suggérant, sans le dire, que ce chemin en raccourci vaut le coup d'être emprunté. Quelle est l'idée maîtresse ? Faire appel à des intermédiaires internationaux chèrement payés pour «négocier des arrangements à l'amiable en échange de la fin des poursuites judiciaires ». En d'autres termes : entrer indirectement en négociation avec les membres de « la famille », leur proposer de restituer une partie du montant réclamé (ce montant dépendra des pourparlers avec la partie concernée) en échange de quoi, la Tunisie abandonne ses charges contre eux sur ces délits précisément. « C'est un choix à faire, soit continuer dans les voies traditionnelles mais très lentes de la justice, soit opter pour des voies alternatives mais plus efficaces », a déclaré Chedly Ayari devant les députés. Un tel virage dans l'approche du dossier de l'argent présumé spolié ne pourrait cependant pas se faire sans une décision politique qui devra être ensuite assumée devant l'opinion publique. Qui pourrait assumer seul cette décision ? « Cette option ne me choque pas une seconde, explique le député Hedi Ben Brahim. Mais il faudrait, pour la mettre en œuvre, une couverture législative et même onusienne, afin que les termes de la démarche soient clairs pour tout le monde ». Le député a également appelé à ce que la commission qui devrait, selon la loi, achever ses travaux le 15 mars 2016, puisse bénéficier d'un mandat supplémentaire. Les sociétés écrans La commission est notamment parvenue à identifier une liste non exhaustive des propriétés de l'ex-président et de son entourage en Suisse (comptes bancaires et un avion qui a été rapatrié), en France (comptes bancaires et biens immobiliers au nom de personnes morales), au Canada (comptes bancaires et un bien immobilier), aux Emirats arabes unis (comptes bancaires et biens immobiliers), en Belgique (deux comptes bancaires), en Allemagne (un seul bien immobilier), en Italie (un yacht récupéré en 2013), en Espagne (un yacht récupéré en 2013), au Liban (comptes bancaires, dont un seul récupéré) et au Luxembourg (un compte bancaire). Mais depuis 2011, et avec l'évolution des techniques financières, les propriétaires de ces biens ont fait usage de montages financiers compliqués pour brouiller les pistes. L'existence de sociétés écrans rendent difficile la détermination de l'étendue des biens possédés par « la famille » et accumulés en 23 ans de règne. Au Royaume-Unis par exemple, la commission a localisé une société écran qui travaillerait pour le compte d'un membre de « la famille » et qui aurait uniquement pour vocation de bénéficier des virements d'une multinationale ayant remporté un contrat public en Tunisie. Les autorités tunisiennes et britanniques avaient dès lors soupçonné l'existence de pots-de-vin et une enquête a été ouverte. Cette affaire traîne depuis 2013.