Par Azza Filali Journée de la femme, cinquante-neuvième édition. Chaque année, la célébration du treize août met en avant le Code du statut personnel, les acquis de la femme tunisienne, ses avancées, s'ingéniant à la comparer à ses consœurs d'autres pays arabes, voire occidentaux, moins avantagées en matière de droits. Par leur simple existence, les textes sont importants dans la vie d'une société. Même si leur application à la vraie vie demeure fluctuante et sujette à bien des cautions. Certes, le Code du statut personnel a offert à la femme des droits dont elle n'a sans doute pas réalisé l'ampleur ; même si ce texte s'est arrêté à une frontière bien gardée par les hommes qui l'ont promulgué : celle de l'héritage où la femme est demeurée « la moitié de l'homme », face à l'argent et aux biens d'un héritage commun. Après la révolution de janvier 2011, une prise de conscience soudaine de la fragilité de ces acquis a mené les femmes à descendre dans la rue, pour exiger haut et fort qu'on ne touche pas au Code du statut personnel, et demander qu'il soit élargi et amélioré dans le sens de plus grandes prérogatives. Sentant ses droits menacés, sous l'effet de l'avancée islamiste et des gouvernements successifs d'Ennahdha, la femme a soudain réalisé l'importance de ce texte, même si, bien souvent, il n'imprègne pas sa vie quotidienne. Il est vrai qu'aujourd'hui, la femme a investi tous les domaines de la vie active, qu'elle est fortement engagée dans la sphère associative et qu'elle contribue, aux côtés de l'homme (ou à elle seule), aux frais de la cellule familiale. Mais, le Code du statut personnel est loin d'être appliqué par toutes nos femmes. C'est que le machisme et la misogynie ont encore de beaux jours devant eux : que ce soit dans notre pays ou dans d'autres (y compris les pays occidentaux) le nombre de femmes battues par leurs conjoints demeure une constante. Qu'on se souvienne de la jeune femme violée par des agents de l'ordre et convoquée ensuite devant les juges pour comportement aguicheur et tenue légère. On peut arguer qu'il ne s'agit là que d'un malheureux fait divers, mais c'est dans les faits divers que bat souvent le pouls d'une société. Bien plus, il existe encore une adhésion inconsciente des femmes elles-mêmes à la prééminence masculine. Que de femmes se sentent tributaires de leur père, frère ou mari, lorsqu'il s'agit de ce qu'on peut appeler les décisions importantes de la vie : changer de domicile, diriger une équipe, etc. A cet égard, la présence, plus que discrète, des femmes aux postes de commande politique, (quintessence du pouvoir masculin), indique que certaines sphères demeurent réservées et que l'égalité hommes/femmes y est une douce utopie. Ceci reste « accepté » par les femmes, comme si une soumission inconsciente au diktat masculin continuait à les diriger, à leur insu. Les archétypes ont la peau dure : égalité hommes/femmes ? Certes, mais quelque part, les hommes demeurent plus égaux... Autre donnée où la réalité s'éloigne du texte : ramener la « vraie vie » de la femme tunisienne au Code du statut personnel revient à appliquer un masque simplificateur et complaisant sur un réel très diversifié. La première simplification consiste à parler de « La femme tunisienne », entité abstraite et factice, tant il est vrai qu'entre une citadine, diplômée et pourvue d'emploi, et une femme de la campagne s'échinant toute la journée aux champs, la différence est de taille. Différence dans les niveaux socio-économiques, les priorités, la sensibilité, la manière de vivre. La citadine a sans doute été informée de la Journée du 13 août par les médias, même si pour elle cette journée se ramène avant tout à un bienheureux jour férié ; la campagnarde a d'autres chats à fouetter et toutes ces célébrations ne concernent en rien sa vie. Autre point ayant trait au Code du statut personnel et à cette Journée du 13 août: la célébrer est sans doute louable, mais cela implique aussi une assignation de la femme à une identité précise avec ses codes et sa singularité. Au milieu du XXe siècle, Simone de Beauvoir écrivait : « On ne naît pas femme, on le devient ». C'était alors l'apogée des mouvements féministes dans un grand nombre de pays. Depuis, beaucoup de femmes ont coulé sous les ponts... En vérité, cette assignation à identité met en avant les femmes tout autant qu'elle les isole, les transformant en un groupe défini, d'abord et avant tout, par son genre biologique. A la pérennisation du ministère de la Femme et de l'Enfance, que peut-on rétorquer si ce n'est qu'un tel ministère institutionnalise les femmes comme un cas social avec problèmes à régler ! Journée de la femme, journée de lutte contre le tabagisme, journée pour le nettoyage de l'environnement... D'un genre biologique, on fait une particularité sociale qui met en valeur(...) et marginalise, de manière subtile et doucereuse. Que de séminaires, de rencontres, consacrés aux femmes artistes, écrivains ou chefs d'entreprise ! A l'opposé, aucun séminaire sur « l'homme artiste ou écrivain » n'a encore vu le jour. En vérité, on naît femme, et on passe souvent bien des années pour accéder à une humanité où le sexe biologique ne représente pas la première carte de visite d'un être.