Après une longue absence de la scène publique, Maya Jeribi réapparaît avec des idées toutes neuves pour rénover Al Jomhouri. Interview Rétablie après une longue maladie qui l'a clouée pendant des mois au lit, Maya Jeribi, secrétaire générale du parti Al Jomhouri, vient de faire sa rentrée, revigorée, en forme et surtout résolue. Et ça tombe bien, en ce moment précis où, après sa défaite électorale, Al Jomhouri a besoin d'un bon coup de pinceau, d'être revu de fond en comble, voire d'être complètement rénové. « Oui, confirme-t-elle, Al Jomhouri a besoin d'une rénovation, mais, insiste-t-elle, dans la continuité ». « Dans la continuité, c'est-à-dire que l'on ne touchera pas à nos fondamentaux faits de libertés, de souveraineté nationale et de justice sociale ». « Le parti doit être rénové, dans sa manière de faire, dans sa gestion et aussi dans la gestion des affaires publiques, la manière de faire, de les approcher. Nous n'avons pas arrêté de réfléchir sur ça depuis les dernières élections. Une équipe de jeunes et de moins jeunes, pas forcément des cadres du parti, a entrepris un travail de bilan interne et vient de présenter le fruit de son travail. Elle a mené l'enquête dans toutes les régions et a rassemblé plein d'éléments pour nous présenter un travail de synthèse sur la situation du parti. Ces éléments, réfléchis, ont abouti à la tenue d'une conférence de cadres au mois d'août. Nous avons travaillé sur le positionnement politique du parti, sur le mode de gestion interne, dont la communication et le congrès ; on n'a pas encore fixé de date, mais ça va venir. Premières décisions : féminisation et rajeunissement. Il y a, en effet, beaucoup de jeunes et de femmes dans le parti et il est bien temps de les mettre en avant aussi bien dans le fonctionnement que dans les médias. Parce que plus c'est jeune, plus ça s'éloigne des sentiers battus », fait remarquer Maya Jeribi. A propos du positionnement, Maya a fait état non point de changement du positionnement du parti, mais de clarification du positionnement du parti. Il s'agit, pour elle, de lever certaines ambiguïtés. Parfois, les positions sont justes, mais il fallait qu'elles soient plus claires dans les médias. Exemple : « Nous avons été les premiers à contrer l'hégémonie du parti Ennahdha à l'ANC et nous l'avons signifié clairement. Or, quand nous avons appelé à un consensus national, ça a été interprété comme un rapprochement avec le parti islamiste et non comme une position contre l'exclusion et pour un principe. Au fait, l'ambiguïté découle du fait qu'on n'a pas clairement communiqué que l'attachement au consensus n'est pas un rapprochement à un parti. Nos positions sont justes, mais il fallait les clarifier, mieux les communiquer ». « Le problème n'est pas dans les positions d'Al Jomhouri, le problème est ailleurs et nous sommes en train de chercher cet « ailleurs ». « Nous avons besoin d'une révolution. Mais d'une révolution tranquille », enchaîne Maya Jeribi, parlant des réformes qui attendent son parti. « Nous avons des valeurs intactes, comme les libertés et les droits ; ces valeurs sont toujours les mêmes, mais c'est le socle de ces valeurs qui doit changer, l'emballage, en quelque sorte ». Surtout que la transition dans le pays passe par des moments difficiles. Certes, une tempête a soufflé sur ces valeurs, l'argent et plein d'autres pratiques louches sont entrés en jeu. « Mais moi, malgré tout ce cafouillage et la défaite électorale, je suis restée zen, forte des vraies valeurs ; c'est pour ça que je parle de révolution tranquille. Moi, la tempête ne m'a pas emportée. Nous avons perdu les élections, nous resterons dans l'opposition. C'est ça la démocratie», précise-t-elle. « Nous sommes zen, parce que nous sommes propres. Certains nous ont reproché le fait d'avoir dialogué avec Ennahdha. Aujourd'hui, ils ont fait une coalition avec Ennahdha ». Qu'en est-il du départ de Néjib Chebbi du parti ? « La décision a été prise et annoncée le 3 août 2014, elle n'est pas nouvelle. C'était à l'occasion de l'annonce de sa candidature à la présidentielle. Parce que cette candidature n'était pas compatible avec ses responsabilités dans le parti ». « C'est un acte de patriotisme et non une démission au sens classique. Or, les ponts n'ont jamais été coupés, jusqu'à maintenant. Depuis que j'ai pris en charge le secrétariat général du parti, il faut dire que je me suis chargée de tout ce qui est gestion, élections, etc. Mais Nejib sera toujours au service de la Nation où qu'il soit et abstraction faite de la forme organisationnelle. Ceci est secondaire pour lui ». La réconciliation économique et financière Interrogée sur la question de la réconciliation économique et financière, Maya Jeribi répond tout simplement : « A part les quatre partis au pouvoir, toute l'opposition et plein d'organisations, d'institutions et personnalités nationales sont contre». Une loi de réconciliation, pour elle, c'est pour réconcilier. Or, là, l'effet qu'elle produit est contraire : la division. « Veut-on une réconciliation à coups de matraque ? », ajoute-t-elle sur ce registre. « Oui à la réconciliation, mais sur des bases solides, sur des mécanismes clairs et transparents ». Or ce que veut ce projet de loi sur la réconciliation économique, c'est le blanchiment d'argent, précise-t-elle encore, en citant Rached Ghannouchi qui a déclaré que l'argent sale devient propre quand il est investi à Sidi Bouzid. L'Ugtt et la rentrée Interrogée sur la rentrée scolaire et le rôle de l'Ugtt, Maya Jeribi pense sans équivoque que « l'organisation syndicale est un élément de modération et d'équilibre dans le pays ». « L'Ugtt encadre ses affiliés et les représente, voilà qui constitue une garantie, déjà que l'opinion des ouvriers soit représentée par une institution. C'est une garantie contre le désordre », nous a-t-elle déclaré. Et de poursuivre : « Dans le cas précis des revendications des enseignants, il est vraiment légitime de se demander pourquoi il est plus facile de trouver des fonds pour augmenter le capital de deux banques nationales et pas pour augmenter le salaire des enseignants ». « C'est-à-dire que le pays passe par des moments difficiles uniquement quand il s'agit de satisfaire les enseignants. En plus, les négociations étaient très mal gérées par le ministre de l'Education ». L'optimisme contre le terrorisme « Soyons solidaires et optimistes, dit enfin Maya Jeribi à propos du terrorisme. Quelles que soient nos divergences, on est appelé à nous montrer très solidaires face à ce fléau et très optimistes ». Aussi, la guerre contre le terrorisme n'est pas que sécuritaire, elle est sociétale, culturelle, médiatique. Sans projet de société global qui ouvre la voie de l'espoir aux jeunes, il y aura toujours cette attraction de l'esprit de violence et de tueries.