Les agressions contre les journalistes demeurent impunies, en dépit de tous les cris de colère et de la mobilisation des médias Ici comme ailleurs, dans les quatre coins du monde entier, l'on a célébré, hier lundi 2 novembre, pour la deuxième fois depuis sa proclamation en 2013, la Journée internationale de la fin de l'impunité pour les crimes commis contre les journalistes. Une manière de rendre un hommage posthume à la mémoire de plus de 700 journalistes tués, pendant la décennie écoulée, juste pour avoir voulu informer le public. Un fait inquiétant qui devrait mobiliser non seulement la profession, mais aussi l'opinion publique qui se voit, dans tout ça, privée d'un de ses droits civiques les plus élémentaires, à savoir l'information. Cela puise, évidemment, dans le sens du message fort expressif du secrétaire général de l'ONU, M. Ban-Ki moon : « Ensemble, nous devons briser le cycle de l'impunité et garantir le droit des journalistes à dire la vérité, sans avoir à craindre ceux qui occupent des positions de pouvoir». Sous nos cieux, la commémoration d'hier a poussé, du moins une partie de la société civile nationale et des structures professionnelles concernées à faire part de leur vive condamnation. De son côté, le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), conjointement avec la coalition civile pour la défense de la liberté d'expression, du centre de Tunis pour la liberté de la presse, la Ltdh, ainsi qu'un large collectif associatif (Article 19, RSF) a organisé, à Tunis, un atelier de réflexion sur « la protection des journalistes en Tunisie : la pratique et la législation, à l'aune de l'étape transitoire ». Ce débat contre toute forme d'impunité a reçu l'appui constant de l'Unesco et de l'Hcdh, deux organismes onusiens de soutien international. Dans son allocution d'ouverture, le président du Snjt, Néji Bghouri, a relevé que ces festivités interviennent à un moment très crucial, où les agressions physiques et morales à l'encontre des professionnels, qu'ils soient journalistes ou photographes, font craindre le retour de manivelle. Et on risque fort que des pratiques policières qu'on croyait révolues continuent à sévir dans l'impunité totale. Par conséquent, il y a, pire encore, un chiffre assez alarmant reconnu ainsi à l'échelle mondiale : dans neuf cas sur dix, les agresseurs ne font aucunement l'objet de poursuites judiciaires. Presque la totalité des crimes que subissent, quasi quotidiennement, les chevaliers de la plume ne sont plus condamnés. Quitte à devenir récurrents et les auteurs ne font que récidiver. Sans que personne n'en demande de comptes. Et là, M. Bghouri a appelé à ne pas les laisser courir, au mépris de la loi. Un tel laxisme ne fait qu'aggraver la situation professionnelle et ternir l'image d'un métier déjà en berne. I Il y a, aussi, raison de dénoncer toute tentative attentatoire à l'unique acquis de la révolution, celui de la liberté d'expression et d'information. De quoi avoir encore peur. C'est pourquoi, a-t-il ajouté, il n'est pas question d'y renoncer, vaille que vaille. Et de finir par asséner : « Stop ! cette impunité, à l'aveugle, doit cesser ». Ce qui donne à se pencher sur les pistes susceptibles d'y mettre un terme. Un plaidoyer que M. Mazen Chagoura, représentant du Haut commissariat aux droits de l'homme relevant de l'ONU, s'engage à faire répercuter sur la plus large échelle possible. Au nom d'un journalisme libre et indépendant qui agit en tant que force de dissuasion. Et de révéler que l'Unesco a déjà condamné quelque 70 meurtres commis au cours de cette année. « Donc, il y a, certes, une conscience vis-à-vis de ce phénomène d'impunité », ajoute-t-il. En conclusion, il espère voir la caravane du Snjt, qui partira, de nouveau, sillonner les régions du nord-ouest, de Sfax et de Monastir, accomplir sa mission. L'objectif est de sensibiliser sur la protection des journalistes, là où ils exercent. Cela commande de prendre les mesures qu'il faudrait pour permettre aux journalistes de travailler en toute sécurité. D'ailleurs, c'était le même message que voudrait transmettre M. David Kay, rapporteur spécial de l'ONU chargé de la liberté d'opinion et d'expression. En visioconférence, son intervention a été interprétée comme un soutien indéfectible à la cause des journalistes tunisiens. En attendant le conseil de la presse Il les a exhortés à davantage de vigilance et de mobilisation pour défendre leur métier. Entre autres mesures à entreprendre dans ce sens, l'ex-directeur du Capjc et enseignant à l'Ipsi, Abdelkrim Hizaoui, s'est focalisé sur la révision des décrets-lois 115 et 116 régissant la presse écrite et celle audiovisuelle. Le paradoxe, d'après lui, est que l'engagement déontologique n'exclut guère l'existence des violences perpétrées contre les journalistes. Et là aussi, un dilemme qui bute sur l'exercice du métier. Il ne reste, à son avis, qu'à miser sur la mobilisation de la profession et de resserrer les rangs face à toutes ces menaces. «En attendant que le conseil de la presse écrite et électronique voit le jour pour prendre les choses en main, en tant qu'instance de régulation», estime-t-il. Quant à M. Zied Dabbar, membre du bureau du Snjt, il a mis l'accent sur la promotion des conditions sociales et professionnelles des journalistes. Et de déplorer que l'état des lieux du secteur laisse encore à désirer. D'où l'impératif, aujourd'hui, d'agir en connaissance de cause. Sans pour autant oublier d'affirmer que la défense de tous ces intérêts n'est pas uniquement du ressort du Snjt. L'Etat devrait, lui aussi, changer de cap. Et pour les forces de l'ordre ? Walid Louguini, porte-parole du ministère de l'Intérieur chargé des relations avec les médias, n'a pas nié les vérités. «Seulement, il faut relativiser les choses», avoue-t-il. Il a relevé que son département s'attelle à améliorer les rapports établis entre les journalistes et les agents de sécurité, en procédant à la mise en place d'un code de conduite à cet effet. D'autant plus qu'il y a également un partenariat avec le Snjt, afin de tenir des sessions de formation commune dans ce sens.