Hafedh Mahfoudh nous entraîne dans un mélange de textes qu'il voue à un éloge de l'écriture, relançant le débat jamais clos des genres littéraires et qui fait rage depuis Platon et surtout Aristote avec sa ‘Poétique'. Une aubaine pour ceux qui lisent à peu près tout ce qui leur tombe sous la main, pour leur donner, non pas un nouveau, mais un autre sens à la somme de toutes leurs lectures. «Pourquoi est-ce que j'écris ?», c'est à partir de cette interrogation que l'auteur se lance dans un passage en revue du processus de l'écriture chez des auteurs qui lui semblent, considérés comme un tout homogène, décrire cet acte singulier de créativité. Eloge de la tradition, éloge de l'écriture Hafedh Mahfoudh attaque avec Georges Bataille avec son «J'écris pour ne pas sombrer dans la folie», enchaîne avec un écrivain anonyme (peut-être lui-même), rebondit sur Junichiro Tanizaki auquel il semble spécialement attaché pour son éloge de la tradition dans son sens le plus profond, le plus exclusif, le plus éloigné des hégémonies culturelles «étrangères»... C'est à ces trois sources qu'il place le point de départ de ses «textes en éloge de l'écriture». Ou plutôt les écritures, car il glisse (sans transition) vers la poésie qu'il juge avoir beaucoup perdu de son ancienne splendeur : «Pour qui le poète écrit-il aujourd'hui ?», en écho à sa toute première interrogation. Mais malgré la perte de vitesse, il considère encore les poètes, ces aigles, comme éternels ! Pour étayer son propos, il cite l'exemple de Vladimir Maikovsky, le poète russe qui s'est suicidé en 1930 parce que la révolution russe l'a déçu, et nous apprend que, le jour de l'annonce de sa mort, une jeune professeure anonyme se donne la mort en laissant un billet signifiant que pour elle la vie n'avait plus de sens après la disparition de Maikovsky ! Puis il s'attarde sur la crise de la poésie tunisienne où il affiche son refus des nouveaux poètes affublés de tous les noms et sa hargne contre ceux qui idéalisent Aboulkacem Chebbi, peut-être le seul poète tunisien d'envergure universelle, puis pleure la disparition de toute une génération de poètes qu'il nomme ‘nos amis'. Fort de cette impression de vide et de perte que le lecteur ne peut manquer de ressentir, Hafedh Mahfoudh retourne à l'écriture, à l'impératif «sois écrivain» et à l'image titanesque de Tanizaki en pleurs devant l'effondrement de l'ancien monde japonais. Au comble du désespoir de voir éclore une vraie génération qui écrit vraiment, il entonne comme un chant funèbre : «Maintenant, sans rien, sans le moindre sens, sans bases solides pour le langage, nous laissons nos âmes de côté pour monter dans l'univers comme monterait la musique pour un être muet, une musique de la peur !». Régler ses comptes avec soi-même, l'enfance, la réalité... Il fait pourtant entrebailler une porte en tentant une dialectique autour de ce qu'il considère comme un «commandement» de Sartre en confessant d'abord avoir longtemps balancé entre deux langages, l'un enraciné dans l'Histoire et l'autre arrimé à l'actuel. «Suis-je assez romancier pour écrire un témoignage ?», s'interroge-t-il sur les traces de Sartre qui s'est demandé comment devenir écrivain dans son ouvrage ‘Les Mots' et qui répond : «C'est la volonté de régler ses comptes avec soi-même, avec l'enfance, la réalité, les premiers scintillements de la culture, et avec le rêve de gloire». Une réponse que l'auteur dit le mettre face à un miroir dans une pièce embuée et reconnaît avoir mis plusieurs années à se détacher de Sartre tout en continuant d'écrire pour enfin parvenir à se séparer du miroir de Sartre et poser son propre postulat de l'écriture : «Je considère la vie humaine dans cet univers comme un grand texte narratif, ou bien est-elle une suite narrative dont les héros sont les grands hommes qui en ont traversé l'existence et sans lesquels la vie ne se serait pas poursuivie et les destinées ne se seraient pas construites». De cet ouvrage, on ressort sur le débat jamais clos des genres littéraires et qui fait rage depuis Platon et surtout Aristote avec sa «Poétique», là où l'étiquetage est souvent difficile quand on se trouve, justement, face à un grand mélange des genres dans un seul ouvrage. Et on se retrouve avec une question à laquelle n'échappe pas cet ouvrage de Hafedh Mahfoudh : existe-t-il un lectorat attitré à ce genre d'écriture ‘diversifiée' ? Pour ceux qui lisent à peu près tout ce qui leur tombe sous la main, il peut être très intéressant de se laisser parfois mener dans un ouvrage qui navigue entre genres pour essayer de leur trouver de communes mesures, des recoupements, des complémentarités qui pourraient donner, non pas un nouveau, mais un autre sens à la somme de toutes ces lectures. L'ouvrage Les commandements de Sartre, 198p., mouture arabe Par Hafedh Mahfoudh - Editions Atlas, 2015 Disponible à la Librairie Al Kitab, Tunis