On observe, de plus en plus, un usage abusif de ce mécanisme constitu- tionnel consacré à la protection des députés strictement dans le cadre de leur travail et activité parlementaires. Pour Seifeddine Makhlouf, tout est permis sous le couvert de cette immunité A vrai dire, plus rien n'étonne en Tunisie. Dix ans après la révolution, le pays semble faire marche arrière sur tous les plans. Ce qui inquiète le plus, c'est que personne n'est capable de sonner la fin de la récréation alors que même nos députés, responsables de la législation, se croient au-dessus de la loi. Jouissant d'une immunité parlementaire, ils se croient capables de tout faire même dans l'espace public, sans qu'ils ne soient exposés à des poursuites judiciaires, ces députés vont jusqu'à forcer la main des sécuritaires dans le plus important passage frontière du pays, symbole de la souveraineté de l'Etat. Peut-on tomber plus bas ? Quels enseignements faut-il tirer de ces événements qui témoignent d'une nette dégradation des institutions de l'Etat ? Indépendamment de la légalité ou de la constitutionnalité de la procédure sécuritaire S17, ces événements survenus lundi dernier à l'aéroport Tunis-Carthage alimentent les formes d'impunité en Tunisie et serviront de prétexte pour d'autres personnes pour porter atteinte au prestige de l'Etat et même menacer les institutions de l'Etat. A quoi pensait Seifeddine Makhlouf lorsqu'il a semé le chaos à l'aéroport ? En faisant irruption dans la zone sous douane de l'aéroport, espérait-il faire voyager de force cette femme fichée S17 ? Ou s'agit-il d'une nouvelle tentative de montrer à ses sympathisants qu'il était facile de cibler les institutions de l'Etat ? En tout cas, c'est ce que redoute le secrétaire général du syndicat de base des forces de sécurité à l'aéroport, Anis Ouertani, qui laisse entendre que tout a été orchestré et planifié auparavant. «Nous savons que la scène était orchestrée et planifiée auparavant, car ce qui s'est passé n'est pas normal», a-t-il soutenu dans des déclarations médiatiques. Usage abusif Les agissements de ces députés perdants à tous les niveaux trouvent leur origine dans une mauvaise exploitation de l'immunité parlementaire, un privilège perverti en Tunisie. Les représentants du peuple tunisien bénéficient, en effet, de par la Constitution de 2014, tout comme la plupart de leurs collègues du monde entier, de l'immunité parlementaire. En effet, l'article 68 de la Constitution protège les députés contre toute poursuite judiciaire dans le cadre de leur travail parlementaire. «Aucune poursuite judiciaire civile ou pénale ne peut être engagée contre un membre de l'Assemblée des représentants du peuple, ni celui-ci être arrêté ou jugé, en raison d'opinions ou de propositions émises ou d'actes accomplis en rapport avec ses fonctions parlementaires». Cependant, l'article 69 de la Constitution stipule que tout député pourrait être arrêté en cas de flagrant délit. «Si un député se prévaut par écrit de son immunité pénale, il ne peut être ni poursuivi, ni arrêté durant son mandat, dans le cadre d'une accusation pénale, tant que son immunité n'a pas été levée. Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation, le président de l'Assemblée est informé sans délai et il est mis fin à la détention si le bureau de l'Assemblée le requiert». Cependant, pour certains députés, on observe un usage abusif de ce mécanisme constitutionnel consacré à la protection des députés strictement dans le cadre de leur travail et activité parlementaires. Sauf que pour Seifeddine Makhlouf, tout est permis sous le couvert de cette immunité. D'ail- leurs, le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a sévèrement condamné les agissements de ces députés, «l'immunité parlementaire ne doit, en aucun cas, se transformer en une couverture pour commettre des actes hors la loi». L'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), qui a vivement dénoncé «le banditisme des membres de la coalition du terrorisme», a estimé nécessaire «la levée de l'immunité des députés d'Al-Karama». Les derniers événements de l'aéroport Tunis-Carthage montrent, encore une fois, que les institutions de l'Etat sont menacées même par nos députés. Même si pour les différents partis, organisations nationales et associations, la condamnation est unanime, la récurrence de ces agissements ouvre la voie à la dégradation des appareils de l'Etat, d'autant plus que dans ce cas, c'est l'institution sécuritaire et douanière qui est ciblée. En tout cas, le parquet a ordonné de diligenter une enquête sur «les agissements des députés de la coalition Al-Karama», lundi à l'aéroport international de TunisCarthage. «La police judiciaire de l'aéroport est appelée à mener les investigations nécessaires et de remettre ensuite les résultats de l'enquête au parquet», a déclaré le porte-parole du Tribunal de première instance de Tunis, Mohsen Daly.