La couverture médiatique des attentats terroristes pose toujours problème Les journalistes tunisiens planchent sur un document d'orientation Pourquoi, chaque fois qu'un crime terroriste est commis, la manière dont on le communique au public suscite polémique ? S'agissant des frappes de Sousse, du Bardo, de Tunis et bien d'autres perpétrées au cours des années post-révolution, la couverture médiatique semblait n'avoir pas plu aux autorités. Et partant pour les journalistes, aller couvrir dans les zones de conflits n'est plus une tâche aisée, au risque d'être mis sur le banc des accusés. A qui la faute ? S'agit-il d'une gaffe professionnelle démesurée ou d'un retour de manivelle camouflé ? Personne ne sait les raisons d'un pareil débat. Mais, la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) et le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) ont décidé de prendre les choses en main. Ils ont convenu de lancer, en décembre dernier, le premier jet d'un document d'orientation sur la couverture médiatique en temps de crise, avec pour exemple les attentats terroristes. Cela fait, sans doute, un cas d'école. A preuve, c'est la profession elle-même qui a dessiné, volontiers, sa propre ligne éditoriale. Désormais, son exercice devrait être soumis à une charte rédactionnelle bien déterminée, sans pour autant déroger aux règles déontologiques déjà établies. Soit, à sujet de terrorisme, une couverture spécifique. Ce document d'orientation tel qu'il a été proposé, il y a à peine deux mois, n'est qu'une copie zéro ayant besoin d'être revue et enrichie. Sa discussion a fait, hier à Tunis, l'objet d'un atelier du travail organisé par la Haica et le Snjt, avec le concours de la BBC Media Action, en présence des professionnels du métier. Tant et si bien qu'on pense ainsi, poussant encore la réflexion sur la qualité journalistique à l'aune d'une actualité aussi délicate que complexe. Mais, une chose est sûre; aux dires de M. Nouri Lajmi, président de la Haica : la guerre antiterrorisme ne doit nullement en cacher une autre contre les médias. Et d'ajouter que la liberté d'expression, et à sa tête celle de la presse, est un acquis de la révolution qu'il est impossible d'ignorer ou de renier. La guerre commence dans les salles de rédaction L'essentiel, maintenant, consiste à hisser le secteur à un haut niveau, à même de pouvoir rattraper les erreurs du passé. «Pas de neutralité à l'égard du terrorisme », un slogan brandi par le Snjt, de la bouche de son président Neji Bghouri. Certes, sacrifier la liberté de la presse sur l'autel de la lutte antiterroriste est une grosse perte. C'est un prétexte justifié par le pouvoir, afin de mettre la main sur le secteur. Et là, c'est peu dire que l'heure de la censure est de retour. « On est, aujourd'hui, dans un combat avec le pouvoir dont l'engagement professionnel et moral demeure notre arme principale», martèle-t-il. Car, pour lui, le danger des médias est très sérieux. Et d'enfoncer le clou, dénonçant les lois liberticides auxquelles l'Etat a, plus souvent, recours pour juger les journalistes. Elles sont injustes. Un arsenal de législation pénale qui fait encore défaut, en lieu et place des décrets-lois 115-116. M. Bghouri n'a pas manqué de faire assumer la responsabilité au président de la République et au ministre de la Justice. « La guerre de résistance des médias commence dans les salles de rédaction», lance-t-il, sur un air de colère. De l'avis de M. Mokhtar Ben Nassr, président du Centre tunisien des études de la sécurité globale, trop de médiatisation galvanise l'énergie des terroristes qui, à leur tour, s'empressent de prendre les devants de la scène. C'est que l'effet de l'excès est de nature à provoquer. A titre d'exemple, seulement 45 attentats survenus en Tunisie dans la période allant de 2013 à 2015, alors que le tapage médiatique dont ils firent l'objet a donné l'impression qu'on vit ces actes au quotidien, au fil des mois et des ans. Ce qui n'est pas le cas, souligne-t-il. Charte en dix principes directeurs En clair, tout compte en temps de guerre. L'universitaire Abdelkrim Hizaoui a insisté sur la nécessité de réfléchir aux mécanismes de régulation et d'autorégulation dans le secteur. Dans ses analyses, il est parti de l'affaire du berger Mabrouk Soltani, décapité par des terroristes à Jebel Mghila à Sidi Bouzid pour mettre en exergue les poursuites judiciaires à l'encontre du rédacteur en chef de la télévision nationale. Cette affaire, qui a défrayé la chronique fait état d'une étude de cas, où l'autorégulation s'impose plus que jamais dans les médias. Il a relevé que les deux décrets-lois 115 et 116 sont, déjà, en cours de révision. L'objectif, certes, est d'éviter un éventuel recours à la justice. M. Hichem Snoussi, membre de la Haica, défend les thèses de M. Hizaoui, en faisant valoir l'utilité d'un mécanisme autorégulateur incitant les journalistes à rendre des comptes. Mme Ayf Sabbagh de la radio britannique BBC, a loué l'expérience de son entreprise médiatique en la matière. Elle a dit que son média compte au total cinq documents d'orientation servant de guide de bonnes pratiques médiatiques. La copie élaborée par la Haica et le Snjt devrait gérer la couverture des événements terroristes. C'est une nouvelle charte déontologique en dix principes que le journaliste est appelé à respecter lors de l'exercice de son métier, sur le terrain et au niveau de la rédaction. La perception sur l'événement, la manière de l'aborder et de l'illustrer, les témoignages sélectionnés, les prises de vues et le choix de l'angle de traitement, les photos des victimes et le positionnement des agents de sécurité face aux terroristes, tous sont autant d'éléments de taille à prendre en considération.