Le football tunisien est aujourd'hui l'otage de ses responsables. On en fait quelque chose de désincarné, qui perd du sens, et qui n'est plus qu'un moyen de déchirement, de division et même de démoralisation. Du côté de la fédération, du côté du Cnot, on ne parle plus du bien commun. On fait comme si l'intérêt général n'était plus que la somme d'intérêts particuliers que les uns et les autres sont ponctuellement invités à défendre. Dans leurs déclarations, dans leurs apparitions médiatiques, dans leurs prises de positions respectives, ils sont amenés à n'être plus que les petits lobbyistes des intérêts privés, ou de leurs intérêts de clans. C'est à partir de là que la culture du grenouillage, des arrangements douteux, se développe. Si l'on sait comment tout cela a commencé, l'on sait encore moins comment cela va finir. Chacun campe sur ses positions et l'on ne se rend pas compte des répercussions qu'une pareille obsession peut avoir sur le football tunisien. Le président du Cnot menace de suspendre la compétition et de défier même les décisions de la Fifa en cas de suspension pour ingérence. Ce qui implique non seulement la perte de la qualité membre, mais aussi une suspension dont les conséquences seront graves pour le football tunisien, pour les équipes nationales et pour les clubs. D'ailleurs, l'article 12, concernant les obligations des associations membres, stipule que «les membres affiliés à la FTF ainsi que leurs propres membres (officiels, joueurs, etc.) sont tenus de se soumettre exclusivement aux organes et juridictions relevant de la Fifa, de la CAF ou de la FTF ou reconnus par elles, tous les litiges les impliquant elles-mêmes ou l'un de leurs membres et relatifs aux statuts, règlements, directives et décisions de la FTF, de la CAF et de la Fifa». Et que «tout recours à un tribunal de droit commun est strictement interdit sous peine de suspension». Ce qui se disait à demi-mots dans les coulisses se confirme. Le football tunisien est aujourd'hui l'otage de ses responsables. On en fait quelque chose de désincarné, qui perd du sens, et qui n'est plus qu'un moyen de déchirement, de division et même de démoralisation. L'autre versant de cette malheureuse reconversion réside dans la transformation de la gestion du football, et peut-être aussi du sport tunisien en général, en cercle privé. L'abandon progressif des grands principes, des orientations et de la cohérence au profit des approches personnelles, où n'interviennent plus que les intrus et les inopportuns sur des projets bien précis, a conduit à faire un entourage qui joue le jeu, qui se plie à toutes sortes de pratiques étrangères aux champs des convictions, des compétences et des initiatives. Ces phénomènes nous amènent à constater que les insignifiances et les dérives ne sont plus une affaire marginale, qui concerne des gens peu futés qui arrivent à se rendre utiles, mais qu'elle fait désormais système. Le risque est réel Le risque de l'asséchement du football tunisien est réel, tout comme le risque d'un retour en arrière sur un terrain glissant. Tout ce qui se fait, tout ce qui se trame, on ne le voit pas seulement comme défaillant, mais surtout comme une déviance constituée et entretenue par des gens censés être pourtant responsables dans leurs propos et dans leurs actes. Le Tribunal administratif et avant lui le Cnas ont annulé la tenue de l'assemblée générale élective de la FTF, prévue pour aujourd'hui, après avoir été saisis par Grombalia Sport, l'Avenir de Soukra et le Club de Football en Salle de Hammam-Sousse. On évoque même le recours à la force publique comme procédure contraignante au cas où la FTF persiste dans sa position et maintient la tenue de l'assemblée générale élective. La fédération, qui ne reconnaît pas la légitimité du Cnas et du Tribunal administratif, qui n'a pas répondu à leurs différentes convocations et qui n'applique plus leurs décisions, mise sur la présence de l'observateur de la CAF et délégué par la Fifa, synonyme du reste du bien-fondé de la tenue de cette assemblée. Pour sa part, le ministère, qui tient à préserver sa neutralité, pourrait désigner un comité provisoire pour gérer les affaires courantes de la fédération en cas de suspension de l'assemblée élective. Pareil recours puise aussi sa raison d'être dans la fin du mandat de l'actuel bureau fédéral. Quelle que soit la raison, le recours à la force publique est de nature à installer un climat de contrainte, de gêne et de doute. Le football et le sport de manière générale sont faits de respect et d'obligations mutuelles, beaucoup plus que de pression, d'intimidation et de menace... Incapables de comprendre qu'un nouveau monde était né, les responsables sportifs sont devenus sourds aux appels à la raison. Sourds et méprisants devant les colères qui grondent autour du football. Ils ont abaissé la fonction «responsable» par des actes dont elle risque de ne pas se relever de sitôt. Au fait, ils n'ont rien appris des responsables dévoués et consciencieux qui ont fait les beaux jours du football tunisien, qui, par la force de leur dignité, ont pu briser le carcan de leur nullité. Ils n'ont rien oublié, non plus, de leurs prérogatives et de leurs privilèges, sûrs de leur bon droit, à peine ébranlés par ce qui vient de se passer. Depuis leur intronisation, chacun dans son coin, ils se sont enfermés dans le déni, le mensonge et la provocation. Il aurait profondément suffi qu'on déclenche une véritable réflexion sur le football, qu'on se penche sur les véritables problèmes qui entravent sa marche pour que les réformes ne montent pas plus haut que le fusible. Au lieu de quoi, ils ont préféré user de tout leur poids pour s'attaquer et pour polémiquer. Leur procédure? On en mesure aujourd'hui les aberrations. Parce qu'ils ont un statut de responsable, ils se sont crus dispensés d'avoir une morale. Ils n'ont pas compris que nous sommes dans l'après-14 janvier.