Le pôle judiciaire financier et l'Instance nationale de lutte contre la corruption censés coincer les corrompus et restituer à l'Etat son argent lancent un cri d'alarme : «Nous n'avons pas les moyens matériels et humains pour accomplir notre mission» L'association Diligence, une initiative nationale de lutte contre la corruption et pour la restitution des fonds tunisiens à l'étranger acquis de manière illégitime, a organisé hier à Tunis une rencontre autour de « l'expérience du pôle financier dans la lutte contre la corruption ». Le ministre des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières, Hatem El Euchi, a profité de sa présence pour déclarer que son département a préparé un projet de loi sur la confiscation des biens mal acquis. Un projet qui a été élaboré par l'ensemble des parties prenantes, y compris l'Instance vérité et dignité. « Le projet de loi sera soumis lundi officiellement au gouvernement, explique-t-il. Dès que celui-ci est adopté par le Conseil des ministres, il sera déposé à l'Assemblée des représentants du peuple qui aura le dernier mot ». Le ministre a également tenu à préciser que le projet de loi est conforme aux dispositions internationales en la matière puisque la Tunisie est signataire de la Convention des Nations unies contre la corruption de 2008. « Si ce projet de loi avait été adopté par exemple, l'affaire Panama Papers aurait été examinée à la lumière de cette loi et c'est l'instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, institution constitutionnelle qui n'a pas encore vu le jour, qui se serait saisie du dossier ». Selon lui, si la corruption a connu un bond en Tunisie, c'est en grande majorité en raison du manque de mécanismes réels de lutte contre la corruption à l'instar d'une loi sur la « protection des lanceurs d'alerte » et d'une loi sur « l'enrichissement illicite ». Le ministre admet également que l'Etat tunisien souffre d'un manque d'expérience dans le domaine de la restitution des fonds tunisiens à l'étranger, ainsi que d'une charge de travail insoutenable qui pèse sur les juges chargés des enquêtes. Une conclusion partagée d'ailleurs par l'ensemble des intervenants lors de cette journée d'étude et à leur tête Hamed Mzoughi, premier juge d'instruction auprès du pôle financier. Il rappelle notamment que le pôle financier travaille sans aucun cadre législatif. « C'est un peu comme une filiale du tribunal de première instance de Tunis », résume-t-il. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le pôle financier n'est pas une justice spécialisée. Selon Hamed Mzoughi, le juge du pôle financier croule sous des centaines de dossiers en tous genres qui vont des affaires d'escroquerie au blanchiment d'argent en passant par des affaires liées au trafic de drogue. « Le local attribué au pôle de justice financière est un local exigu, explique-t-il. De plus, nous n'avons pas les outils les plus indispensables tels qu'un scanner, ou un fax. Les dossiers que nous traitons concernent des milliers de dinars et pourtant, le local ne dispose même pas d'une caméra de surveillance, il est très facile de dérober des dossiers importants ou quasiment brûler les dossiers dont nous disposons ». Lorsqu'il fait les comptes, ce juge estime à 2000 le nombre de dossiers que le pôle judiciaire financier sera amené à traiter dans la période à venir. Avec seulement 7 juges et des moyens dérisoires, le juge est formel : « A moins de nous cloner, c'est une mission impossible». Le président de l'Instance supérieure provisoire de supervision de la justice judiciaire, Khaled Ayari, va même jusqu'à qualifier ce pôle de « mort-né ». Beaucoup de points communs sont relevés par Chaouki Tabib entre le pôle judiciaire financier et l'Instance nationale de lutte contre la corruption qu'il préside. « Tous deux ont été créés pratiquement en même temps, et tous deux n'ont pas bénéficié du soutien suffisant de l'Etat tunisien, surtout en termes de moyens financiers, logistiques et humains », affirme-t-il. Il appelle entre autres à une stratégie nationale et non pas gouvernementale de lutte contre la corruption mais pointe du doigt de manière claire le manque de volonté politique de lutter contre ce fléau. Chaouki Tabib a par ailleurs déploré que certains décident de se lancer en politique ou de créer des partis simplement pour échapper à la reddition des comptes. «L'affaire Panama Papers» renforce ma conviction que les responsables politiques doivent être soumis, au même titre que les hauts fonctionnaires, à une déclaration de patrimoine », a-t-il dit.