Le processus de réconciliation, pacifique en apparence, ne peut que servir l'intérêt de l'agresseur et garantir son impunité. Les féministes et les militantes pour les droits de la femme à la parité et à la dignité ont signifié, récemment, le besoin de la société tunisienne en l'instauration d'une loi à même de garantir la protection des femmes contre toute forme de violence. Elles ont saisi l'occasion de l'organisation, par le Réseau euro-méditerranéen, d'une conférence nationale traitant de ce thème d'actualité pour appeler les parties concernées à résoudre les problèmes d'ordre législatif, institutionnel et éthique, jouant à l'encontre de l'accès des femmes à leurs droits à l'égalité et à l'autonomie. Il faut dire que la lutte des féministes pour la cause féminine ne date pas d'aujourd'hui. Ce travail acharné contre l'inégalité du genre a toujours été le cheval de bataille tant des femmes que des hommes conscients de l'importance fondamentale et indéniable de la gent féminine dans le projet développemental. Aujourd'hui, le rôle de la femme acquiert une nouvelle dimension qui va de pair avec le développement d'une société post-révolutionnaire. La femme tunisienne constitue un pilier essentiel à la concrétisation de la démocratie. Pourtant, moult obstacles juridiques et idéologiques l'empêchent de parfaire sa mission et lui imposent une subordination dégradante voire stérile. Non à l'impunité des agresseurs ! L'Association tunisienne des femmes démocrates ( Atfd ) n'a pas baissé les bras du temps de l'oppression. Depuis la révolution, elle ne cesse de s'activer pour les droits de la femme. Prenant la parole lors de ladite conférence, Mme Monia Ben Jemia, présidente de l'Arfd a articulé son intervention autour de quatre questions jugées capitales dans la promotion des droits de la femme à la parité, à la justice sociale et juridique ainsi qu'à la lutte contre la violence à l'égard du genre. Sa double casquette de membre de la société civile et de juriste l'habilite pour mettre en évidence la discrimination juridique à l'égard des femmes victimes de violences. En effet, ces femmes sont, dans la majorité des cas, agressées par des hommes très proches d'elles, notamment leurs maris, leurs ex-maris, leurs fiancés, leurs ex-fiancés ou encore leurs compagnons. «Nous avons proposé l'application des pénalités sur l'agresseur quelle que soit la relation qu'il entretient avec la femme-victime, une suggestion qui a été refusée sous prétexte qu'elle risquerait d'encourager aux relations extraconjugales entre l'homme et la femme. Nous continuons inlassablement de lutter pour la punition de l'agresseur», a-t-elle souligné. Autre point qui risque de jouer au détriment de la victime et au profit de l'agresseur : la réconciliation pour laquelle opte le juge en guise de recréer une harmonie dans un couple brisé à force de violence. Ce processus pacifique, en apparence, ne peut que servir l'intérêt de l'agresseur et garantir son impunité. «Nous ne voulons pas d'une famille à dominante agressive, qui use du modèle patriarcal et machiste pour violenter ses membres les plus vulnérables, agresser la femme et violer les enfants», a-t-elle affirmé. Mme Ben Jemia a évoqué, en outre, une question épineuse qui touche aux droits de la femme à la justice, à savoir le viol conjugal. Cette violence à la fois physique, sexuelle et morale échappe souvent à la justice à défaut de preuves et en raison d'une banalisation déplacée, appuyée et justifiée par la société. L'oratrice a attiré, par ailleurs, l'attention sur la pénalisation des violeurs. Certes, le Code pénal condamne à mort les violeurs, une pénalisation qui n'est pas toujours appliquée en raison de la prise en considération, par le juge, des arguments à même d'alléger la punition. L'oratrice a suggéré la substitution de la condamnation à mort par des peines allant de 15 à 20 ans de prison. Le calvaire des femmes démunies De son côté, Mme Saloua, présidente de l'Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (Afturd) a focalisé l'intérêt sur les problèmes socio-économiques des femmes vulnérables. C'est le cas, par exemple, des femmes qui requièrent des aides spécifiques dont l'hébergement et l'appui financier. «Ce sont des femmes dépourvues de soutien familial et de source de revenus. La plupart d'entre elles ont passé leur enfance à subir la violence et l'exploitation économique. Violentées, abusées, certaines deviennent des mères célibataires, ce qui pousse leurs familles et leur environnement social à les rejeter», a-t-elle indiqué, irritée. Et d'ajouter que nombreuses sont les femmes rurales qui se trouvent privées de leur droit à l'héritage au nom des us et coutumes, de la bienséance, de cette volonté confirmée de préserver un modèle patriarcal ségrégatif. Aussi, recommande-t-elle aux parties concernées de doter cette catégorie vulnérable de l'appui matériel à même de lui garantir une vie digne et de lui faciliter l'insertion à la vie professionnelle et l'accès à l'autonomie financière. Des acquis à renforcer Mme Radhia Jerbi, présidente de l'Union nationale de la femme tunisienne (Unft), a dénoncé la discrimination exercée à l'encontre de l'Unft ainsi qu'à toutes les militantes qui avaient œuvré pour l'émancipation de la femme depuis l'Indépendance. Pour elle, écarter l'Unft des projets et des programmes pro-féministes constitue une violence exercée par les institutions au détriment de la société civile. Mme Jerbi a rappelé que l'organisation a toujours veillé sur l'autonomisation de la femme. Les centres relevant de l'Unft et spécialisés dans la formation professionnelle, la formation agricole, ainsi que les centres de lutte contre l'analphabétisme en disent long sur un parcours de longue haleine, mené non sans détermination pour habiliter les femmes à gagner dignement leur pain quotidien, à être autonomes, à participer au développement socioéconomique, à prouver leur mérite. Ces centres constituent des acquis de la femme tunisienne. Ils ne demandent qu'à être reconnus comme tels, à être financés afin de pouvoir mener à bien leurs nobles missions.