Par Mustapha ATTIA Quand te titille Paris, la ville des lumières, à la magie captivante, tu te retrouves pris dans les méandres de son ambiance éblouissante. Il est normal que tu te transformes en un être habité par la rage de partir. Tu lâcheras la bride de tes pas qui te conduiront vers la beauté et l'innovation, la liberté et la douceur. Tu te rinceras l'œil des couleurs foncées de la Seine et tu contempleras les frimousses comblées de bonheur du parc des amoureux. Tu tâteras, plein d'appréhension et de déférence, la statue de Diderot et tu embarqueras sur les flots de tes souvenirs de jeunesse qui submergent ton être, dès que tu auras débouché sur la Place de la Sorbonne. Il arrive que tu bifurques vers la gauche, étant avenue Saint-Germain, alors tu t'enfonceras à travers d'interminables rues et d'autres moins longues et bien étroites, jusqu'à ce que tu parviennes à la “Rue du Temple”. Là, le nom du plus célèbre des peintres tunisiens surgit de ta mémoire, celui qui a élu résidence dans cette ville endiablée ! A peine installé dans un petit café, à peine as-tu commencé à siroter un café bien serré, au secret bien gardé par les habitants de ces lieux, travaillant dans ses restaurants, ses bars et ses cafés, que notre peintre pointe sa petite taille, avec sa démarche lourde, dévisageant les présents, comme s'il était sûr d'y rencontrer un visage familier. Quelques instants après, tu te retrouveras entouré, embrassé, enlacé, pris dans ses bras bien charnus. Il te prendra par la main en te disant le plus naturellement du monde : “A présent tu es mon invité !”. Du café, tu te retrouveras vite dans son atelier de peinture, ayant traversé une ruelle étroite et poussé une grande porte cloutée. Il aura monté des escaliers délabrés qui donnent sur une pièce exiguë, dans laquelle s'entassent les tableaux et s'éparpillent les journaux, les revues et les coupures de presse. Quelques outils de peinture sont disséminés ça et là se mélangeant à d'autres objets, difficiles d'en distinguer la nature et les fonctions. Il te dira tout fier “cet atelier primitif, je ne voudrais jamais le lâcher, car j'en ai hérité d'un grand peintre français, Buffet, qui m'a découvert et m'a ouvert toutes les portes de l'épanouissement et du rayonnement !” Et c'est parti pour une histoire excitante, depuis son arrivée à Paris pour travailler en tant qu'agent dans une entreprise d'électricité, puis son entrée à l'hôpital pour se soigner de telle maladie. Et, c'était là que pour tromper l'ennui il avait commencé à enduire toutes sortes de feuilles qu'il trouvait à sa portée avec des gribouillis incompréhensibles et des signes cabalistiques. Il arriva que Monsieur Buffet, qui séjournait dans le même hôpital, le remarqua. Il aperçut ce jeune jouer avec les formes et s'étant enquis de ce que l'imagination du peintre en herbe avait réalisé, il s'écria : “Eurêka, je l'ai trouvé !” Buffet était connu pour avoir découvert des “peintres à l'état brut”, c'est-à-dire ceux qui ont des dons innés, sans jamais savoir qu'ils avaient ce don, ni qu'ils étaient nés peintres. Il quitta l'hôpital. Le grand peintre s'occupa de sa nouvelle découverte. Il le fit entrer dans son atelier et, lui jetant tout son attirail, lui dit : “Fais ce que tu voudras, l'essentiel c'est d'oublier l'électricité et l'entreprise !” Quelques années plus tard, le peintre Ahmed Hajri commença à remplir les espaces culturels et artistiques de la Ville des lumières et sa cote monta assez rapidement. Ses tableaux se vendaient désormais à grand prix. Un jour, l'un des quotidiens parisiens fit l'éloge de ce peintre “brut” et le compara au grand peintre international Chagal. Ahmed Hajri vit l'article et une crise de colère hystérique s'empara de lui. Il prit le journal et alla voir Buffet monté sur ses grands chevaux, accusant l'auteur de l'article de racisme scandaleux. Buffet sourit et arriva à le convaincre que le journaliste l'a comparé à Marc Chagal, le plus grand peintre de son temps, et non pas à un chacal, comme il a pu comprendre.