La récupération de la plage Casino a été accueillie avec une joie immense, particulièrement par les familles démunies qui y convergent en grand nombre, même si d'énormes efforts restent à faire pour la rendre plus accueillante L'été s'est déjà annoncé à travers ses températures caniculaires, ses souffles brûlants de sirocco, ses sueurs et ses nuées de diptères piqueurs aux assauts insupportables. Or, comble du paradoxe, la saison occupe une place de prédilection dans le cœur des Tunisiens. Le qualificatif fort sympathique de «convive» ou «d'invité», dont nous le gratifions est bien révélateur de la bienveillance, voire de l'attachement qu'il nous inspire, comme il explique le sentiment de nostalgie qui envahit les cœurs avec l'arrivée des premières ondées automnales. L'été est, en effet, associé dans nos esprits aux longues siestes réparatrices, au farniente, aux villégiatures, aux grandes vacances scolaires, aux congés annuels et aux délices de tous genres. C'est la saison de la baignade, des soirées familiales et des plaisirs du palais: boissons rafraîchissantes, glaces et fruits de saison aussi abondants que savoureux. Dieu a offert au Tunisien une riche variété de fruits exquis et le Tunisien ne se prive pas du bonheur de s'en régaler. Il n'empêche, cependant, que les Tunisiens ne vivent pas l'été de la même façon, eu égard aux spécificités régionales et aux ressources économiques des uns et des autres. Qu'en est-il, à ce propos, à Sfax ? Pour répondre à cette question, il serait utile de jeter un regard rétrospectif sur la relation qu'entretenait jadis le Sfaxien avec l'été. Temps bénis Appréhender la question des points de vue historique, social et urbanistique met en exergue deux périodes assez distinctes. La période antérieure aux années 1970 était rythmée par le phénomène de transhumance de la Médina vers les vergers et vice-versa. Les familles sfaxiennes quittaient leurs demeures de la ville arabe, au début de la saison estivale pour s'installer dans les vergers, petits edens, plantés d'abricotiers, pêchers, pruniers, figuiers, figuiers de barbarie, amandiers, pommiers, pieds de vigne et grenadiers où ils retrouvaient la fraîcheur, la douceur de vivre, la verdure et les arbres chargés de fruits de saison mais également les borjs, bâtisses traditionnelles aux propriétés éminemment thermiques. Les hommes faisaient quotidiennement la navette entre le «jnène» et la ville pour rejoindre leurs lieux de travail, et rentraient vers le coup de midi, ce que certains qualifient aujourd'hui de «séance unique», avant la lettre. Les jnènes, de petits coins de paradis Comme les familles étaient regroupées par souches, étant installées sur la terre des aïeux, et comme elles comptaient des musiciens, les veillées familiales étaient agrémentées par des airs de malouf ou autres genres musicaux dont les échos étaient distillés par la brise nocturne embaumant le jasmin et le «fell». Au cours du mois de juillet, il n'était pas question d'aller ailleurs, tant qu'il y avait des fruits sur les arbres et surtout avant d'avoir fait la cueillette des amandes et d'avoir décortiqué et soigneusement stocké la récolte. Cap sur la plage de Sidi Mansour C'est à partir de l'arrivée de la période «d'Aoussou», que les charrettes et les calèches prenaient le chemin de Sidi Mansour où se dressaient les tentes familiales. Une dizaine de jours ou une semaine durant, la gent masculine savourait la joie de la baignade, le jour, tandis que les femmes devaient attendre la soirée pour faire trempette à la faveur de l'obscurité. On profitait aussi de l'occasion pour laver la laine et baigner les animaux de trait. Comme c'était une époque bénie, les prises de poisson pêchés, d'ailleurs, avec des moyens des plus rudimentaires finissaient sur les braises ardentes des kanouns ou dans les marmites où mijotait une sauce savoureuse parfumée au cumin et autres épices du terroir. Plages artificielles Pour la classe plus aisée ou moins conservatrice, la baignade se faisait dans des plages artificielles aménagées vers les années 1950. Il s'agit des plages Poudière, Viriot, (appelée aussi Casino ou Charuel) et Farhat Hached où un orchestre jouait des morceaux de musique orientale et de malouf. Sans compter la natation initialement localisée sur la route menant à «Madagascar», puis transférée dans le bassin dit «des pétroles au bout de «la plage Viriot», selon Moncef Ben Salah qui cite le site web : «Sfax sous le protectorat français» Célébrations de mariages Les fêtes de mariage tombaient toujours à pic pour briser la monotonie du quotidien. Les familles sfaxiennes recevaient (et reçoivent encore), chaque été, une vingtaine d'invitations sinon plus, aux noces de proches ou d'amis, qu'il est impensable de décliner. L'occasion donne lieu à des préparatifs aussi fiévreux que coûteux. En effet, la femme sfaxienne met un point d'honneur à faire admirer la magnificence de sa robe, la somptuosité de sa parure, et le goût recherché de sa coiffure. Comble de prodigalité, elle rechigne à porter la même robe deux fois. Les cérémonies nuptiales se déroulaient auparavant dans les «jnènes», avant la poussée extraordinaire des salles de fêtes, actuellement insonorisées, spacieuses à souhait et climatisées. Les femmes paradent, les filles, plus que jamais éblouissantes, se font remarquer et les garçons font discrètement le repérage de la future moitié. Après quelques velléités timides d'occuper la piste de danse, c'est une véritable mêlée de danseurs, dans une ambiance survoltée, au rythme cadencé du mode fezzani et consorts. Nouveaux modes de vie Avec le boom économique sans précédent, et l'essor pris par tous les secteurs d'activité à la faveur de l'option marquée pour le libéralisme économique, à partir des années 1970, une métamorphose commençait à se faire jour au niveau des mentalités, sous l'effet conjugué de la scolarisation, de la naissance de la société de consommation et des médias, particulièrement la télévision. La prospérité des affaires, l'accès à la fortune des artisans, commerçants, professions libérales et nouveaux industriels ont été suivis d'une poussée prodigieuse de villas individuelles, voire même de somptueux palais, autour, et souvent en lieu et place des borjs, désormais snobés pour être vieillots, archaïques voire anachroniques. L'image, stéréotypée, du Sfaxien radin a volé en éclats, démentie par l'élévation du niveau de vie et le goût tout nouveau pour le confort quand ce n'est pas pour le luxe. Il s'en est suivi une mutation qualitative dans la façon de vivre l'été. L'échange de visites se faisait dans des vérandas spacieuses, convenant parfaitement à la réception des convives et autres familles amies. Les soirées agrémentées de friandises, de fruits sortis du réfrigérateur, de rafraîchissements et de thé à la menthe ou aux pignons étaient une succession de parties de cartes animées et de joyeuses conversations, quand ce ne sont pas quelques instrumentistes présents qui se mêlaient d'égayer davantage l'ambiance. Pollution des plages Avec l'émergence de la culture des loisirs et la naissance de nouveaux besoins liés entre autres à l'élévation considérable des revenus, le manque de lieux de loisirs s'est fait profondément sentir à Sfax, ville studieuse et laborieuse. C'est d'ailleurs à cette époque-là que tomba le verdict des autorités sanitaires déclarant impropres à la baignade, les plages nord. Frustrant et douloureux. Nouvelles destinations C'est alors qu'allait commencer un véritable rush vers la plage de Chaffar, distante de quelque trente-cinq kilomètres de Sfax. Sur les lieux émergeait déjà un village de résidences où se côtoient des villas tout aussi cossues les unes que les autres. Si le village ne compte aujourd'hui pas plus d'un millier de maisons depuis les années 1960, c'est parce que l'acquisition d'un lot de terrain y est soumis à des règles pour le moins sélectives. Il restait aussi d'autres alternatives à la portée des gens plus ou moins aisés : soit les plages de Kerkennah, soit la poussée vers la Chebba et les plages de Bkalta et de Salakta, avant celles de Mahdia. A chacun selon ses moyens. Si n'était la formule de la location ou de la multilocation, on se faisait héberger dans les maisons des Jeunes et même dans les écoles primaires. La villégiature a en effet atteint, à l'époque, la dimension de véritable phénomène de mode pour ne pas dire phénomène social. Pour les employés des grandes sociétés, des vacances dorées sont à la portée dans des marinas ou des hôtels de luxe. Les plages de la Chebba, Bkalta, Salakta et Mahdia, étant plus ou moins passées de mode, les Sfaxiens les plus fortunés rivalisant d'originalité ont érigé de splendides demeures pour ne pas dire d'opulents châteaux, de préférence, pied dans l'eau, dans des zones toujours plus septentrionales entre le Cap Bon et Tabarka. Loisirs ponctuels La Foire internationale de Sfax offre toujours, au mois de juin, une alternative non négligeable aux familles de condition modeste. Son ambiance de kermesse, ses attractions multiples sont autant de moyens de divertissements pour les enfants, tandis que les stands d'exposition-vente s'offrent en braderies au grand plaisir des mamans. Le mois de juin et le début de juillet sont ponctués d'un joyeux événement, celui de la réussite au baccalauréat. Chaque année scolaire est couronnée par une excellente moisson de réussites. Autant d'occasions pour des réjouissances familiales et de circonstances heureuses à fêter avec les proches et les amis. Tout comme d'ailleurs les occasions de réussite à l'instar de l'obtention d'un diplôme universitaire, qui ne sont pas peu nombreuses, quand on sait que la ville de Sfax compte pas moins de vingt institutions universitaires. Aux mois de juillet et d'août, c'est la saison des festivals, d'importants exutoires pour une jeunesse avide de divertissement et de défoulements collectifs. Plaisir des retrouvailles A partir de l'été dernier, la récupération de la plage Casino a été accueillie avec une joie immense, particulièrement par les familles démunies qui y convergent en grand nombre, même si d'énormes efforts sont à faire pour la rendre plus accueillante, faute d'être magnifique. Ce à quoi s'emploie la société civile avec l'aide des autorités locales. Persistance de la frustration Faut-il conclure que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Loin s'en faut ! En effet, les vacances scolaires sont longues et difficiles à meubler pour la jeunesse, faute de lieux de loisirs, à l'exception des cafés. En second lieu, la frustration est toujours grande à Sfax, toujours privée de ses plages, mis à part le tronçon de deux à trois cents mètres, du Casino, pour la simple raison que les plages nord, quoique dépolluées, sont vaseuses, selon les témoignages recueillis auprès de baigneurs. D'autre part, il est clair que ce n'est pas demain la veille pour la finalisation du projet Taparura.