L'été débarque sans aviser. Sa chaleur torride et les longues veillées nocturnes donnent de cet invité l'idée de farniente et, pour les plus nantis, de dolce via. Jadis, la banlieue de Radès représentait un lieu privilégié de villégiature. Les moins jeunes se rappellent ainsi du mythique train en bois qui vous conduisait jusqu'au Casino de la ville plus loin des baraques installées dans le sable et privées d'eau et d'électricité. Les baraques Des bidons de vingt litres servaient aux porteurs d'eau pour ramener le précieux liquide du château d'eau jusqu'aux baraques pour les estivants. Les grands fûts de cent litres leur facilitaient en fait la tâche. Les baraques du temps de jadis avaient entre 8 et 10 mètres de long, certaines comprenaient jusqu'à quatre pièces, une cuisine et une véranda. De l'intérieur, le carrelage leur donnait un aspect de convivialité et de douceur. A la plage, on pouvait même tomber sur des baraques à étages. «Chatt cheikh lemdina» donne directement sur oued Méliane. Là, le raffinement atteint son paroxysme : le rez-de-chaussée sert aux affaires domestiques (cuisine, toilette…) Le premier étage est composé de salles à coucher. Un escalier particulier mène la gent féminine directement vers la plage. La femme devait rigoureusement se couvrir de kachabïa noire et d'un chapeau. Pour éviter les regards impertinents, elle prenait son bain soit tôt le matin soit la nuit. Les fruits de Radès Qui dit Radès, dit fruits des jardins de la ville : la pomme radésienne, le figuier, le poireau… tant de délicieux biens dont notre pays foisonne et qui firent écrire à Ali Douagi «Ibarek fi trabek ya tounès» (Que ta terre soit bénite, ô Tunis!) Des paroles reprises par Salah Khémissi. Les paysans descendaient tôt le matin de leurs champs pour distribuer de bonne heure un panier de fruits pour chaque famille occupant une baraque. Le lait, le pain, les beignets et le poisson étaient livrés à domicile. Sans oublier la glace. Tout parvenait à la clientèle sans que celle-ci se dérange pour être servie. Le farniente, c'était cela : profiter au maximum de l'air frais et vivifiant de la mer et des champs environnants. Au plaisir des palais Le soir venu, la terrasse du Casino accueillait les veilleurs et toutes sortes de noctambules. Un concert y était organisé jusqu'à l'aube et attirait les commerçants. On y venait passer du bon temps de Saint-Germain (Ezzahra actuellement) et Hammam-Lif. La clientèle du Casino se composait prioritairement de passagers. Car pour ce qui est de la population des baraques, elle préférait veiller près de ces centres de villégiature de luxe. Leur plaisir atteint des sommets les soirs de mezoued. Alors, chacun des veilleurs ramenait quelque chose‑: qui du poisson, qui de la viande, qui un tajine succulent, qui des fruits et des boissons. Le vin, on l'achetait à Grombalia. Les fins gourmets ont dû apprécier. Dans ce temps-là, on pouvait consommer sans gêne ni risque le «takrouri», sans parler de la Chicha. Malgré toutes les critiques adressées au Protectorat et que l'on retrouve par exemple sur les colonnes du journal de Mahmoud Bayram Ettounsi «Achabab» qui écrit‑: «Une question récurrente qui attend une réponse du gouvernement‑: la consommation du «takrouri» est-elle tolérée en France?» Comme un peu partout, ces baraques pouvaient attirer les voleurs ou les importuns. C'est pourquoi un gardien y assurait la sécurité et la quiétude, «Am Ali», un brun maigre, pouvait conduire les hôtes jusqu'à la porte de la baraque où ils vont descendre. Il connaissait ainsi tout le monde et gardait les lieux douze mois sur douze. A Korbous et Sidi Bou, aussi Lucas Carpentier, directeur du quotidien La dépêche tunisienne habitait à Radès. Il a été le promoteur d'une desserte menant du centre de la ville à la plage sur un petit train. C'est lui également qui a été derrière la construction des villas de villégiature à Korbous, et d'un casino. A sa mort Carpentier a été inhumé à Korbous. Autres citoyens d'honneur du Radès de naguère‑: Ali Douagi, décédé le 27 mai 1949 dans sa ville à l'âge de 40 ans, et Abderrazak Karabaka, décédé le 15 mars 1945 à Saint-Germain à l'âge de 44 ans. Autre ville rendue célèbre par ses baraques de villégiature Sidi Bou Saïd. Au Kram, elles étaient néanmoins moins nombreuses et la propriété de la colonie italienne. Parmi les propriétaires tunisiens, on peut citer Lamine Fayech, Hassen Baabara, Mohamed et Mustapha Lagha, Abdelméjid Ben Osman, Chedly Tébib, la famille Taj… En fait, les histoires de la dolce vita durant l'été tunisien n'en finissent pas. La jeune génération n'a pas idée de ce que furent ces moments de détente, de repos et de bonheur passés au bord de la mer. A Radès, le Kram, Sidi Bou et partout ailleurs sur la côte tunisienne.