Ne nous y trompons pas. Le projet de gouvernement d'union nationale est dans l'impasse. Habib Essid, chef du gouvernement, n'a pas démissionné. Il s'en remet au Parlement, lequel ne saurait le démettre par voie de motion de censure en période d'exception. Les stipulations constitutionnelles sont claires là-dessus. Et le chef de l'Etat a procédé avant-hier à la prolongation de l'état d'exception pour encore deux mois. En même temps, les partis de la majorité gouvernementale n'affichent guère une solidarité sans faille concernant le renvoi du gouvernement de Habib Essid. Nida Tounès est divisé. Ennahdha maintient, comme toujours, deux fers au feu. Les autres louvoient, au gré des circonstances et des sautes d'humeur. Côté opposition, ou ce qui en reste, même topo, ou presque. Habib Essid est devenu «sympathique» aux yeux de certains dirigeants du Front populaire ou du bloc démocratique et social. Le Front populaire a même gelé ses rapports avec les partis de l'opposition ayant rejoint le dialogue autour de la formation d'un nouveau gouvernement d'union nationale. C'est dire que même si motion de censure il y a, ce n'est pas gagné d'avance. Le Parlement lui-même ne sait plus sur quel pied danser. Avant-hier, dans une étonnante allocution télévisée d'une minute quarante-neuf secondes, en pleine canicule, le chef du gouvernement avait déclaré qu'il s'en remettait au vote du Parlement à la fin de cette semaine ou au début de la semaine prochaine. Le lendemain, le bureau du Parlement a décidé de convoquer M. Habib Essid pour demain en vue de «débattre de la situation générale du pays». Pour être plus pointu dans l'art de la tergiversation et du louvoiement à reculons, il faut se lever tôt. Côté présidence de la République, on feint d'avoir la conscience tranquille. Pourtant, en lançant son initiative de gouvernement d'union nationale, le président Béji Caïd Essebsi n'escomptait guère cette issue de blocage. Tout au moins espérait-il la nomination d'un chef de gouvernement avant l'Aïd, c'est-à-dire début juillet, et d'un gouvernement au grand complet avant le 25 juillet. Il n'en est toujours rien. Souvenons-nous. Il y a peu, BCE s'était réuni avec les neuf partis et trois organisations nationales engagés dans les pourparlers en vue du gouvernement d'union nationale. Visiblement exaspéré, il avait frappé du poing sur la table et dit : «J'ai le nom du futur chef du gouvernement». Il semble toujours exaspéré mais il ne frappe plus du poing sur la table. Il s'est contenté, la veille de l'aïd, de leur annoncer : «La balle est dans votre camp. J'ai fait ce que je devais faire». Les partis et organisations nationales se sont contentés jusqu'ici de signer en grande pompe, en présence du chef de l'Etat et des dignitaires du régime, un document pompeusement intitulé «La déclaration de Carthage». Un ensemble de déclarations plus généreuses les unes que les autres en guise de priorités du prochain gouvernement d'union nationale. Et qui ne diffèrent guère beaucoup de la déclaration d'investiture de Habib Essid devant le Parlement, ce qui n'a pas empêché son gouvernement d'échouer lamentablement. Bref, çà et là, c'est le festival des insignifiances. Entre-temps, l'économie n'en finit pas de caler, le dinar de dégringoler, les investissements de stagner et les exportations de faire du surplace. Quant au pouvoir d'achat des citoyens, il s'étiole à vue d'œil, au gré des mauvais jours. On aurait voulu qu'il en soit autrement. Mais nous avons les dirigeants appropriés à un système politique et institutionnel fondé sur les déséquilibres catastrophiques de la partitocratie et des féodalités politico-mafieuses. La Tunisie va mal. Elle souffre de plusieurs fléaux, dont sa classe politique inconsistante et l'absence d'hommes d'envergure à la barre. François Mitterrand avait déclaré un jour à un jeune député rocardien : «La politique est plus qu'un simple échange d'idées. La politique est un métier». Et il avait raison. Nous célébrons dans quelques jours le soixantième anniversaire de la proclamation de la République. Bien qu'on parle à tort et à travers de deuxième République, la République a perdu son jus sous nos cieux depuis plusieurs années. Certes, il y a le modèle, mais il y a aussi la caricature.