Soyons clairs. C'est bel et bien la Maison Tunisie qui vient d'être honorée par le prix Nobel de la paix. Le Quartette du Dialogue national traduit bien les forces vitales qui ont consacré le triomphe de l'exception tunisienne dans un environnement arabe ensanglanté. Et pourtant, en ce jour de réception de la prestigieuse consécration internationale, la Maison Tunisie va mal. L'économie et la politique calent. Le processus de relance est en panne. Le terrorisme demeure une sérieuse menace intérieure et extérieure. Reconnaissons-le, le front intérieur est encore en proie à de profondes discordes. Témoin, le profil conflictuel de deux des quatre organisations nationales récipiendaires du Nobel de la paix. La centrale ouvrière et la centrale patronale se regardent toujours en chiens de faïence. Ils ont fait le déplacement à Oslo séparément. L'Ugtt et l'Utica s'abîment toujours dans un interminable bras de fer autour des augmentations salariales dans le secteur privé. Pourtant, dès la fin août, le président de la République avait réuni les deux organisations en vue d'un accord définitif, avec la participation du chef du gouvernement et du président du Parlement. Le gouvernement a parachevé, par ailleurs, depuis bientôt deux mois, l'accord avec l'Ugtt sur les augmentations dans le secteur public. Rien n'y fait. Les déclarations tonitruantes et la surenchère sont toujours démocratiquement partagées entre les deux centrales. Le front intérieur est fissuré. Le corporatisme étroit, sur fond de féodalité politique, est de mise. Et ce n'est guère l'apanage des deux organisations. Les deux principaux partis de la coalition gouvernementale quadripartite ne sont guère en reste. Aussi bien le mouvement Ennahdha que Nida Tounès sont aux prises avec les démons de la discorde intérieure. Ennahdha peine à organiser un hypothétique congrès depuis deux ans. Nida est pratiquement scindé en deux principaux clans et des poussières intermédiaires. Le plan de sauvetage initié il y a peu sous l'égide de M. Béji Caïd Essebsi, président-fondateur du parti, s'articule autour de pas moins de treize points. Côté gouvernement, c'est le même topo. Les quatre partis de la majorité s'étripent, peinent à s'organiser ne fût-ce qu'en structure de concertation permanente ou cyclique. Ils se télescopent notamment autour de la représentativité au sein du bureau du Parlement. Sans parler des choix gouvernementaux proprement dits. C'est un peu partout la guerre de tous contre tous. Hormis le Front populaire, qui campe sur des positions tranchées, la dynamique majorité-opposition s'avère à géométrie variable. Elle change au gré des humeurs du jour, des coups de tête, des crispations subites et inexpliquées. Et le grand perdant dans tout ce triste manège, c'est bien M. Habib Essid, le chef du gouvernement. Constitutionnellement, il est supposé être l'homme le plus puissant de l'échiquier politique. Pourtant, il n'en est rien. Le régime vire, par la force des choses, au présidentialisme masqué. Ou truqué. Le président de la République l'avait bien reconnu il y a quelques semaines. Ce gouvernement, avait-il dit dans une interview télévisée, est supposé être un gouvernement de réformes, or il s'avère qu'il est un gouvernement de gestion des affaires courantes ! Et Habib Essid ne fait rien pour se transcender. On le dit grand commis de l'Etat, mais il n'arrive toujours pas à se hisser au rang d'homme d'Etat. Il a bien limogé le ministre de la Justice, il y a des mois. Le ministre de la Défense assure son intérim depuis. Au risque de bâcler et la défense et la justice. Et le chef du gouvernement joue toujours les prolongations dans le registre de l'erreur composée. Etrangement. C'est dire que la reconnaissance internationale du prix Nobel de la paix n'arrive guère à juguler les démons de l'inertie intérieure. Ainsi font, font, font...un prix Nobel et puis s'en vont.