«Les limogeages intempestifs tournent au ridicule !» Figure de proue du paysage sportif sfaxien depuis plus de quarante ans, Abdelaziz Ben Abdallah continue d'être l'exemple typique du dirigeant qui s'est dépensé corps et âme pour assurer les meilleures conditions de travail à son club, et lui procurer les moyens de réussir dans sa mission, aussi bien au plan technique que moral. Son passage à la tête du club qui a battu tous les records de longévité, s'étant étalé sur quelque... douze ans, a été aussi ponctué de titres, aussi bien au plan national que celui continental. Et puis, Abdelaziz Ben Abdallah représentait surtout l'image de marque pour les joueurs du club, voire le grand frère qui ne lésinait point sur les moyens financiers, en vue de leur procurer les conditions idoines pour réussir dans leur carrière footballistique. C'était du temps des Agrebi, Akid, Dhouib, Abdelwahed, Abbès, Ilyès Ben Salah, Laâdhar, Souayah et Abdelmoula, soit la génération qui a le plus marqué de son empreinte l'histoire du club... Comment êtes-vous venu à la tête du CSS ? Ce sont surtout les joueurs de l'époque, celle des années 70-80 du siècle écoulé, qui m'ont poussé à assumer cette responsabilité. Le président en exercice lors de la saison 1979-1980, Dr Hédi Bouricha, s'étant retiré du poste, pour des raisons personnelles, ils m'ont expressément demandé d'accepter la proposition qui m'a été présentée par certaines autres parties prenantes du club pour assumer cette responsabilité. Mes relations avec eux étaient des plus cordiales, et ils m'ont promis de ne lésiner sur aucun effort pour lever plus haut l'étendard du club. Et ils l'on fait, en parvenant à remporter le titre de champion à l'issue de ma première saison à la tête du club. Ce fut suite à la victoire historique remportée aux dépens de notre concurrent direct, le Club Africain, en l'occurrence. Que retenez-vous encore en mémoire de cette rencontre ? Ce sont surtout les péripéties qu'elle a connues, avec notamment cette expulsion d'un des meilleurs joueurs de l'équipe, Abbès Abbès précisément, dès la... 6e minute par l'arbitre marocain, appelé à diriger la rencontre. Cela ne nous a point empêchés de croire en nos chances jusqu'au bout. Et c'est sur une victoire d'un but à zéro, nécessaire et suffisante pour briguer le titre, qu'on a clôturé cette rencontre. Le «M'hiri» a vécu ce jour-là un des moments les plus exaltants de son histoire, avec notamment un public aussi passionné, mais aussi discipliné et qui n'a point dépassé les limites du fair-play. Mais la saison n'a pas été à ses débuts prometteuse... Qu'avez-vous fait pour remettre l'équipe sur orbite? Au début, la communion n'a pas été parfaite entre les joueurs et leur entraîneur allemand, Pfeifer. D'ailleurs, on accusait à la fin de la phase aller... sept points de retard au classement sur le leader, le S. Tunisien en l'occurrence. Les supporters, tout comme les joueurs, insistaient pour le limoger. Ce que j'ai refusé catégoriquement, convaincu que ce sont les joueurs sur le terrain qui sont capables de tout faire. Je leur ai recommandé de travailler beaucoup plus, et d'être plus disciplinés tactiquement sur le terrain. Ce qu'ils n'ont pas manqué de faire au cours de la phase retour... Vous n'êtes donc pas le genre de dirigeant qui impute toutes les responsabilités des accrocs qui pourraient entraver la bonne marche de leurs équipes à l'entraîneur ? Assurément. D'ailleurs, j'ai toujours soutenu les entraîneurs que nous avions engagés au début de chaque saison. Pfeifer, très contesté à ses débuts avec le club, a réussi le pari de remporter le titre de champion. L'autre entraîneur, Paolo Rubim, de nationalité brésilienne, a lui aussi connu les mêmes difficultés à sa première expérience avec le club. Puis, il s'est complètement investi pour réussir le doublé. Ce qu'on voit maintenant avec des clubs qui changent au cours d'une même saison trois, voire quatre entraîneurs, suscite le ridicule. L'entraîneur, quelles que soient ses compétences, ne détient pas un bâton magique pour changer du jour au lendemain l'image de l'équipe. Il faut lui assurer les conditions nécessaires et suffisantes pour réussir dans sa mission. L'exemple de l'entraîneur français, Guy Roux, avec Auxerre a constitué pour moi un repère, tant il a bénéficié du soutien de ses employeurs pour réussir dans sa mission qui s'est étalée sur plusieurs décennies. Et puis, les plus grands clubs d'Europe, comme le Barça, ou le Real, donnent l'exemple de leur soutien continu aux entraîneurs qu'ils engagent au début de chaque saison. Ce qui explique l'image de marque qu'ils détiennent depuis longtemps. Quelle a été la saison qui vous a le plus «emballé» au cours de votre passage comme président? Assurément celle de 1995, avec la génération composée de joueurs aux qualités exceptionnelles, comme Skander Souayeh, Sami Trabelsi et Naceur Bedoui. Avec elle, nous avons remporté le doublé (coupe et championnat), tout en alliant l'efficacité au spectacle, auquel tous les «fans» du football s'accrochent. Et que pensez-vous de celui présenté actuellement par nos clubs? Il n'est point au niveau de l'attente. C'est plutôt un football pousse-ballon, où l'empreinte technique est presque absente. Le CSS, par exemple, a perdu beaucoup de son «aura» d'antan. Ce qui est regrettable. On cherche la victoire, c'est toujours bon, mais avec quels moyens ? Vous avez évoqué la qualité du jeu présentée par votre équipe préférée. Si vous nous comparez le budget qui lui est alloué actuellement avec celui d'antan, précisément celui des années 90 ? Il n'y a aucune comparaison. J'ai d'ailleurs surpris d'apprendre que le budget de la saison écoulée a dépassé les 19 milliards, dont plus de 11 milliards pour l'équipe première de football, alors que le budget global du club au cours de la période où j'ai présidé à ses destinées ne dépassait point les 90 millions par an. Allez comprendre ! Vous n'êtes donc pas optimiste quant au sort du club? Ce n'est pas un cas isolé pour notre club, mais plutôt une situation qui touche l'ensemble des clubs de la «Nationale». Il est temps, à mon avis, de réviser certains choix. Aujourd'hui, les footballeurs sont plus gâtés qu'avant. Ils sont mieux payés, sans pour autant apporter le «plus» escompté. Ce qui constitue une aberration qu'il est opportun de réviser. Et que pensez-vous des relations qui lient les clubs actuellement ? Je n'en ai pas une idée bien précise. Mais ce que je peux affirmer, sans risque de me tromper, c'est que celles qui nous liaient avec nos concurrents directs, comme l'EST, le CA ou l'Etoile, étaient des plus cordiales. Leurs présidents respectifs, en l'occurrence Slim Chiboub, Hammouda Ben Ammar et Othmane Jenayah, étaient aussi des amis. Et c'est ce qui est le plus important... Les résultats sur les terrains ne sont que le maillon de la chaîne. Ils n'ont point pesé sur nos relations respectives. J'espère que ceux qui veillent actuellement aux destinées de nos clubs en retiennent l'exemple, pour que le sport ne dévie pas de sa vocation et du nécessaire respect mutuel.