«Patrimoine cinématographique en péril», tel est l'intitulé de cet important colloque qui a marqué les journées des 29 et 30 octobre pour célébrer la journée du cinquantième anniversaire des JCC. Avec ce colloque, les JCC ont voulu fêter leurs cinquante ans en célébrant la mémoire et en rappelant que le premier des festivals d'Afrique et du monde arabe tient encore sur ses jambes et qu'il a même des ambitions. Le colloque tombe à point nommé et prouve qu'il y a la volonté manifeste de redécouvrir le dossier de la restauration des archives et de la cinémathèque. La première journée était réservée au cadre général, c'est-à-dire aux enjeux, aux prérogatives et leurs implications ainsi qu'à la manière d'aborder la question des archives en général. Présentes à ce colloque: la cinémathèque du Portugal, la cinémathèque de Belgique, la Fiaf (Fédération internationale des archives du film) et les archives nationales tunisiennes qui ont brossé le tableau de la mise en œuvre de ces collections. Les communications étaient d'un très haut niveau. Le Cambodgien Rithy Panh a parlé de son expérience tout a fait indépendante de la collecte des archives des Khmers rouges. La Palestinienne Khadija Habashneh a parlé du vol des archives palestiniennes par les Israéliens. L'Espagnol Rafael Guerero Moreno a parlé de la redécouverte du patrimoine audiovisuel qui remet en cause le franquisme. Le Marocain Abdessalem Boutayeb a parlé d'une association qui archive les films sur les droits de l'homme. Ce qui a attiré notre attention dans cette première journée, c'est l'apparition de l'enjeu politique de la question des archives plutôt que de l'enjeu de la mémoire. Le deuxième jour, les participants ont eu droit à l'expérience de l'Afrique subsaharienne et à celle de l'Afrique du Nord. Le mot qu'on a beaucoup entendu pendant la deuxième journée était celui de «rapatriement». Comment rapatrier ce patrimoine audiovisuel qui existe surtout à l'étranger ? Rappelons que les négatifs des films sont souvent à l'étranger et qu'ils font l'objet parfois d'un contentieux. Durant ce colloque, il y a eu un appel ferme et comme des revendications pour ramener ces archives. La polémique a éclaté également à propos du prix que les Tunisiens paient pour avoir accès à ces archives. Habib Mestiri a parlé de quelque 7.000 euros qu'on lui a demandés pour avoir des archives qui concernent la Tunisie. Certains producteurs tunisiens sont obligés de rentrer dans un partenariat de production pour avoir leurs propres archives. «Avons-nous les moyens de les rapatrier dans de bonnes conditions ? Avons-nous les locaux et les techniciens nécessaires ? A mon avis, ce qu'on doit récupérer, c'est des copies. Ces copies, on peut les revendiquer... déclare Hichem Ben Ammar, cinéaste et intervenant tunisien dans ce colloque. Durant ce colloque, j'ai demandé ce que j'ai revendiqué depuis les années 80, c'est-à-dire deux petites lois : la première consiste à changer le film de bien commercial en bien culturel. Une fois que le contrat d'exploitation par le distributeur arrive à terme, le film est malheureusement détruit par les huissiers. C'étaient des autodafés... A l'époque déjà, je militais contre ces autodafés. A l'époque, la Tunisie exploitait de deux cents à deux cent cinquante films par an... Imaginez si cette loi existait, le nombre de films qu'on aurait dans notre cinémathèque en ne sauvant seulement que les films de catégorie A ! La deuxième loi concerne le dépôt légal des films produits. Quand le ministère finance un film, il demande au producteur de lui fournir des copies. Mais les films indépendants ? Ils constituent aussi une mémoire. C'est pour cela qu'il faut généraliser le dépôt légal. La possibilité d'avoir ces deux lois nous permettrait de rentrer à la Fiaf (Fédération internationale des archives du film) qui permet des échanges et permet aux cinémathèques d'avoir des copies». Quelles étaient les recommandations tunisiennes dans ce colloque? «Pour éviter de sombrer dans le sentiment d'échec, je préconise que l'on fasse la cinémathèque du court métrage, poursuit Hichem Ben Ammar, car le court métrage a été développé en Tunisie et pas en France. Il n'a pas circulé dans les réseaux commerciaux, donc les copies sont bonnes. C‘est une collection qui fait 1.200 films au maximum. On peut rapidement, en deux ans par exemple, avoir un catalogue exhaustif et une mise en ligne de nos courts métrages, ce qui serait une étape et, entre-temps, il faut penser aux contentieux des longs métrages. Il faut également rendre hommage à Sophie El Goulli qui a fondé la cinémathèque tunisienne en 1958 avec un statut et elle y a travaillé jusqu'aux années 70». Elaborer et mettre en place une politique de sauvegarde et de conservation de patrimoine cinématographique en Afrique et dans le monde arabe ont toujours posé un problème. Les participants à ce colloque sortent avec un brin d'optimisme quant à l'avenir de nos archives cinématographiques.