Nouvelle reprise de la pièce théâtrale «Le Fou» (Al Majnoun) de Gibran Khalil Gibran , mise en scène par Taoufik Jebali et présentée les 10, 11 et 12 novembre à l'espace El Teatro à Tunis. Une œuvre qui semble être intemporelle, basée sur un texte magnifique du poète et peintre libanais Gibran Khalil Gibran (1883-1931). Un spectacle qui a été repris plusieurs fois par le metteur en scène Taoufik Jebali. Des reprises qui prennent chaque fois les allures d'une recréation. Un nouveau cycle, donc, a été présenté depuis jeudi dernier pour commémorer les trente ans d'El Teatro. Lors de cette nouvelle reprise, la pièce est interprétée par de nouveaux acteurs et danseurs, de jeunes spécialistes des arts de la scène, Marwen Errouine, Amel Laouini, Feten Chadly et Yassmine Dimassi. Taoufik Jebali a également revu les décors, la chorégraphie, la scénographie et la dramaturgie. L'œuvre ne cesse d'évoluer, de s'enrichir, d'impressionner au grand plaisir du public qui est venu nombreux lors de ce premier cycle de présentations. Remarquable de profondeur et d'intensité, l'œuvre dresse le portrait du personnage du «Fou» de Gibran Khalil Gibran. Produisant sens et réflexion, loin du divertissement, la nouvelle équipe du spectacle, emmenée par Taoufik Jebali, s'est appropriée un ouvrage captivant, édifiant et poétique, s'attachant à décrire, réfléchir, dénoncer les pensées susceptibles de faire basculer l'être humain dans l'intolérable. Au cœur d'une scénographie "endroit et envers du décor" réussie, délaissant progressivement le réalisme pur pour tendre vers le poétique, l'onirique, le symbolique, arborant des effets spéciaux impressionnants et témoignant d'une grande créativité artistique, on replonge dans l'esprit du Fou. Il s'agit de ce personnage étrange, imaginé par Jibran, qui parvient à se libérer de ses masques, à n'être pas compris car «ceux qui nous comprennent et asservissent quelque chose en nous.» Ce recueil de paraboles donne une idée positive de la folie, montrant que derrière son apparence de déraison, elle cache une volonté de se préserver des contradictions du monde et des différentes voix qui l'habitent. Le narrateur explique: «Dans ma folie, j'ai trouvé et la liberté et la sécurité, la liberté d'être seul et la sécurité de n'être pas compris.» «Tu ne peux pas comprendre mes pensées navigatrices, ajoutera-t-il, et je ne veux pas que tu les comprennes. Je voudrais être seul en mer.» La solitude se présente comme un refuge face aux agressions d'un monde qu'aucune protection ne parvient à arrêter, en dehors de la perte du sens commun. Le fou est cette âme perdue qui erre dans l'obscurité d'un monde inintelligible et qui, parfois, fait des découvertes inouïes, même s'il est profondément désespéré, enfermé dans la nuit de ses pensées. Tout cela nous est conté par les protagonistes eux-mêmes, alternant récits à plusieurs voix ou monologues rehaussés par les peintures de Gibran Khalil Gibran plongées dans un univers sonore exceptionnel, un beau travail technique (musique originale de Nejib Charadi et univers sonore de Taoufik Jebali ) Dans un mouvement et une fluidité continuels servant au mieux la partition, l'ensemble de la distribution, investie, convaincante, remarquable dans les phases de « délire », livre un travail beau, touchant, efficace et prenant. Un spectacle salutaire tombant à point, puisque d'après Taoufik Jebali «on a besoin d'une voix qui nous pousse vers notre Humanité, vers la Clémence...Une voix s'élevant au-dessus de l'autoritarisme, de l'exclusion... Une voix prophétique, une voix spirituelle...La voix d'un Fou...La voix de Gibran... »