Par Abdelhamid Gmati La Journée mondiale pour mettre fin à l'impunité dans les crimes commis contre les journalistes, le 2 novembre dernier, n'a pas suscité de grands remous. Et pourtant, on y apprenait, entre autres, la précarité de ce métier et les dangers qu'encourent les journalistes. Ainsi le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) a recensé plus de 180 cas de licenciement de journalistes, plus de 480 annonces de non-paiement à temps de salaires des journalistes pour une période d'une année seulement (de septembre 2015 à septembre 2016). Dernier cas en date : des journalistes et techniciens de la chaîne TV Hannibal ont entamé, depuis samedi dernier, une grève de la faim au siège de l'établissement, en réaction à «la dégradation de leurs conditions professionnelles et l'insatisfaction de leurs revendications ». En fait, ils observent un sit-in ouvert depuis le 10 novembre et demandent, pour l'essentiel, le versement de leurs salaires et leur droit à la couverture sociale. Terrorisés, réduits au silence pendant les longues années sombres de la dictature, les journalistes avaient cru avoir retrouvé leur liberté d'action, et pouvoir exercer leur profession dans les limites imposées par la loi et la déontologie de leur métier. Mais aux garde-fous d'hier se sont imposés d'autres non moins semblables et liberticides. Il faut croire que quel que soit le système ou le régime politique, l'omerta est toujours de rigueur dans certains secteurs et pour plusieurs personnalités publiques. Il est intéressant de rappeler ici les paroles du chef du gouvernement prononcées lors de la journée citée plus haut. Youssef Chahed a insisté sur la volonté de son gouvernement de préserver l'acquis de la liberté de la presse et à le renforcer à travers la législation et les lois : « Le gouvernement œuvrera à développer les décrets-lois 115 et 116, en lois garantissant les libertés et la protection des professionnels du secteur. Le pays a plus que jamais besoin de journalisme professionnel, courageux et indépendant, loin des tiraillements financiers et politiques ». Et s'est dit « conscient qu'un tel journalisme ne peut progresser sans l'appui de l'Etat, qui lui facilite l'édition, la distribution et la publicité, et que l'Etat doit jouer son rôle social pour appuyer le secteur ». De son côté, Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec la société civile et des instances constitutionnelles, assure : « Une chose est sûre, nous ne mentirons plus aux Tunisiens ». Soit. Mais, selon l'Unesco, « la grande majorité des cas de violence à l'encontre des journalistes pour museler la liberté d'expression, n'a pas fait l'objet de suites ou de sanctions, ce qui est une manière de donner toute la liberté à ceux qui exercent ces agressions ». Les cas de violence, verbale et physique, contre les journalistes ont été nombreux ces dernières années. Mais on n'a pris aucune mesure contre les agresseurs. Bien au contraire : nombreux ont été les journalistes confrontés à des problèmes avec les tribunaux. Dernier en date : le juge d'instruction près le tribunal militaire a émis, le 3 octobre dernier, un mandat de dépôt contre le directeur de Athawra News, Mohamed Haj Mansour. Ce mandat de dépôt vient suite à la publication d'un article concernant l'achat, par l'armée, d'équipements défectueux. Ce n'est pas la première fois que la justice ou la justice militaire convoquent un homme de média en se basant sur des lois autres que celles régissant la presse. Autre exemple récent : le journaliste Lotfi Laâmari a exprimé son opinion dans une émission de télévision et a dit ce qu'il pense de l'état de la justice en Tunisie. Ce, suite au verdict prononcé dans l'assassinat de l'homme politique Lotfi Nagdh. Verdict contesté et dénoncé par plusieurs personnalités. Le président de la République, lui-même, s'est dit « choqué par le jugement rendu ». Pour Hela Omrane, députée de Nida Tounès, «les membres de Daech ne sont pas à Jebel Chaâmbi mais dans le corps de la magistrature, aujourd'hui détesté pour sa partialité». Faut-il rappeler encore qu'en février dernier, l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire a pris des mesures disciplinaires à l'encontre de 49 magistrats de divers grades, auxquels il est reproché « des délits de corruption, d'abus de pouvoir et d'appartenance politique ». On invoquera toutes sortes de raisons pour s'en prendre aux journalistes et les museler. De la fameuse « sécurité de l'Etat », à l'atteinte à la réputation d'un corps de métier, à la religion, à l'identité nationale, à l'intérêt général ; tout y passe. Et pourtant, et comme disait Albert Londres : « Un journaliste n'est pas un enfant de chœur et son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».