Hier, le gouvernement a soumis de nouvelles propositions à l'Ugtt suggérant la répartition des augmentations salariales sur 2017 et 2018. Les syndicalistes s'y opposent, mais ils laissent la porte ouverte à la poursuite du dialogue Ceux qui sont aujourd'hui âgés de 50 à 60 ans ont le sentiment, à tort ou à raison, de revivre ces dernières semaines les événements de novembre et décembre 1977 qui se sont soldés par «le jeudi noir» le 26 janvier 1978, jour de la grève générale, la première après l'indépendance, décrétée par feu Habib Achour, secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail. Ils se rappellent bien que le point de départ de la tragédie du 26 janvier 1978 a été bel et bien la grève lancée par les ouvriers de la Sogitex à Ksar Hellal début novembre 1977, suivie par la descente de l'armée dans les rues de la ville sahélienne suite au refus de Tahar Belkhodja, ministre de l'Intérieur à l'époque, de lancer les brigades de l'ordre public (BOP) à l'assaut des grévistes. Et ce fut le déclenchement d'une série de grèves de solidarité avec les grévistes de Ksar Hellal dans toutes les régions du pays et la situation allait s'envenimer gravement quand Habib Achour, à l'époque secrétaire général de l'Ugtt et membre du bureau politique du Parti socialiste destourien (PSD), présidé par feu Habib Bourguiba, a été menacé publiquement d'assassinat par un ancien résistant du Sahel attablé sur la terrasse d'un célèbre hôtel à Sousse. Ce rappel des événements qui ont précédé et fait le lit de la journée du jeudi 26 janvier 1978 s'impose auprès de certains observateurs qui considèrent que «le bras de fer opposant le gouvernement Youssef Chahed à l'Ugtt et l'entrée en scène de certains députés nidaistes ne faisant que verser de l'huile sur le feu, augurant d'une issue semblable à celle du 26 janvier 1978 au cas où les tentatives de compromis menées ces derniers jours par le président de la République Béji Caïd Essebsi ainsi que la mission de bons offices entreprise par Mohamed Ennaceur, président de l'Assemblée des représentants du peuple et le père fondateur du dialogue social, n'aboutiraient pas avant la journée du jeudi 8 décembre, date de la grève générale décidée par l'Ugtt, à une solution consensuelle dans le sens du respect et de l'application des accords signés par le gouvernement Habib Essid pour ce qui est des augmentations des salaires des fonctionnaires pour le compte de 2017». Et si on échelonnait le versement des majorations ? Hier, le secrétaire général de l'Ugtt, Hassine Abassi, a rencontré le chef de l'Etat qui lui a proposé de nouveau que «le paiement des augmentations soit reporté jusqu'en octobre 2017». Sami Tahri, membre du bureau exécutif et porte-parole officiel de l'Ugtt, confie à La Presse : «Les propositions du président de la République comportent aussi la possibilité de répartir les augmentations sur les deux années 2017 et 2018. Seulement, l'Ugtt n'est pas prête à accepter ces propositions dans la mesure où elles englobent l'année 2018 et la direction actuelle n'a pas le droit de s'engager à la place de celle qui sera issue du congrès national de la centrale ouvrière qui se tiendra fin janvier 2017. Toutefois, la direction syndicale demeure toujours ouverte au dialogue et à l'heure où je vous parle (hier vers 18h30), une rencontre se déroule au palais du gouvernement dans le cadre de la commission 4+4. Et nous souhaitons au sein de l'Ugtt parvenir à une solution qui évitera au pays la grève générale en dépit de la tension qui règne actuellement, marquée notamment par les déclarations incendiaires de certains députés nidaistes qui ont franchi toutes les lignes rouges en diabolisant l'Ugtt et ses responsables, en essayant de transférer leurs querelles interminables à la place Mohamed-Ali dans le but de compromettre l'Ugtt dans une crise qui n'est pas la sienne». Et pour revenir aux déclarations que Sami Tahri qualifie d'incendiaires et que Hassine Abassi a dénoncées vigoureusement dans son discours prononcé dimanche 4 décembre à l'occasion de la commémoration du 64e anniversaire de l'assassinat du leader syndicaliste et nationaliste Farhat Hached, est-il besoin de rappeler que les députés nidaïstes Fatma M'seddi, Sabrine Gobantini et Mongi Harbaoui nous ont retrempés, en parlant de «milices ugétistes» et de «criminels avérés qui se promènent dans la rue au vu et au su de la justice, incapable de les arrêter», dans l'ambiance des plénières de l'Assemblée nationale (Majless El Omma) quand les députés du Parti socialiste destourien (parti unique en 1977) traitaient feu Habib Achour et les membres du bureau exécutif de l'Ugtt de criminels qu'il fallait jeter en prison «pour sauvegarder l'unité nationale» ? Et comme la tendance générale est à la grève dans le but de faire pression sur Youssef Chahed pour l'obliger à revoir sa loi de finances 2017 en prenant en considération les caprices des uns et les exigences des autres, hier les avocats ont entamé la première journée de leur grève ouverte et illimitée avec présence dans les tribunaux. Toutefois, les avocats n'ont pas lâché totalement leurs clients puisqu'ils ont décidé que certains avocats assistent aux audiences où la présence des avocats est impérative. De leur côté, les pharmaciens des officines privées se réunissaient, hier, pour décider de la date de la grève générale qu'ils ont annoncée samedi dernier, en signe de protestation contre l'article de la loi de finances les obligeant à payer la TVA sur les médicaments importés. Eux aussi laissent la porte ouverte à la possibilité d'annuler leur grève au cas où le gouvernement accéderait à leurs exigences. La balle est maintenant dans le camp des députés au palais du Bardo. La commission des finances a achevé l'examen du projet de loi de finances 2017 et a remis son rapport au bureau de l'ARP en transférant les articles sur la fiscalité des avocats et des pharmaciens à la séance plénière.