Il n'est pas donné à n'importe quel footballeur de planter trois buts dans les filets de l'ESS à Sousse, surtout quand on n'a que 18 ans et qu'on vient d'entamer sa première saison avec les seniors de l'Espérance Sportive de Tunis. C'est pourtant ce qu'avait réussi, en 1974, le jeune goaleador Zoubeïr Boughnia. C'était d'ailleurs le prélude d'une fulgurante, mais ô combien brève carrière de buteur racé, qu'a connue cet attaquant qui avait marqué d'une pierre blanche les années 1974 et 1975 du club de Bab Souika dont il était le principal fer de lance. Grâce à ses 24 buts marqués en 1975, il a permis à l'EST de remporter le championnat de pulvériser le record des buteurs détenu à l'époque par l'illustre international du Sfax Railways Sports, Ezzeddine Chakroun (23 buts). «Cette prouesse constitue ma grande fierté, surtout que depuis l'Indépendance et avec l'officialisation de la feuille d'arbitrage jusqu'à ce jour, ce record n'a pas été battu...», précise Zoubeïr Boughnia avec une vantardise amplement justifiée par la dégradation du niveau des attaquants tunisiens à laquelle on assiste d'une saison à l'autre. Zoubeïr Boughnia, à l'âge de vingt ans, était vite devenu le bourreau de tous les gardiens de but de l'époque, y compris le légendaire Attouga. Il mettait des buts des deux pieds et de la tête, à l'intérieur et en dehors des seize mètres. Ses débuts furent avec le petit club divisionnaire du «Progrès Sportif de Tunis» du côté de Bab El Khadhra, avant d'être enrôlé par l'EST dans la catégorie des minimes. Il est donc le vrai enfant du club. «Avant, l'appartenance et l'amour du club étaient, à mon sens, le grand charme du football amateur qui constituait le vrai vecteur pour l'éclosion d'innombrables talents dans toutes les contrées du pays. On jouait pour le plaisir, animés par un engouement sans borne. Chacun parmi nous faisait fi de la concurrence qui était pourtant rude, que ce soit au sein du club ou entre les clubs. Les valeureux joueurs "couraient" réellement les rues. De nos jours, notre équipe nationale n'a pas un seul vrai avant-centre, alors que de mon temps, il y avait Moncef Ouada, Moncef Khouini, Mohieddine Hbita, feu Mohamed Ali Akid et d'autres attaquants de pointe capables de faire la différence dans un match sans trop de peine». Mystérieuse éclipse ! Les férus du ballon rond âgés de plus de cinquante ans se rappellent certainement des attaquants de pointe italiens, tels que Giogio Chinaglia ayant fait les beaux jours de son club, la Lazio de Rome. Tout simplement, Zoubeïr Boughnia était de la trempe de ces avant-centres, dont les coups de patte et les headings faisaient mouche presqu'à tous les coups. Certes, l'éclosion de Zoubeïr a été rapidement couronnée par quelques apparitions en équipe nationale sous la houlette d'André Nagy, Ameur Hizem et Abdelmajid Chettali. Mais alors que tout le monde le destinait à une carrière exceptionnelle, il décide de partir en France et d'aller se morfondre dans un petit club de la seconde division Malakoff. Et du coup, ce fut le début d'une éclipse annoncée. A ce propos, Zoubeïr explique : «Il faut dire que pas moins de deux facteurs majeurs étaient réunis pour précipter mon départ en France quand j'avais vingt ans. Et contrairement à ce qu'on pense. Il n'était nullement motivé par une carrière «pro» en Europe. J'avais obtenu mon bac au lycée Carnot et je me suis inscrit à une université de médecine dentaire de la banlieue parisienne dans laquelle j'ai fait trois années d'orthodontie. Et pour ne pas couper avec le football, j'ai été testé par le PSG qui m'avait prêté à Malakoff car le club parisien ne pouvait pas m'engager puisque la réglementation interdisait l'enrôlement de plus de deux joueurs étrangers. Le PSG avait pour étrangers à l'époque, le Camerounais Tokoto et le Portugais Umberto Cuelho. Pourtant, j'ai tapé dans l'œil de l'entraîneur Just Fontaine. Et la deuxième raison était beaucoup plus complexe et je ne veux pas en parler. Mais avec l'avènement de feu Hassène Belkhouja à la tête de l'EST, celui-ci m'a contacté pour revenir au bercail. Ce qui fut fait quoique mon retour ne plaisait pas à beaucoup de gens à l'EST et ailleurs». Et bien sûr la suite on la connaît. Elle se résume en une trentaine de matches avec son club de cœur pour toute la période allant de 1977 à 1987 soldée par la maigre moisson de 33 buts durant ces saisons cumulées. Voilà, c'est en quelque sorte le résumé d'une carrière qui aurait pu être beaucoup plus glorieuse. Zoubeir Boughnia, qui possède un restaurant du côté du Belvédère, mène actuellement une vie paisible loin des stades,même s'il s'était essayé dans l'activité d'entraîneur avec des clubs de second plan, lui qui est détenteur d'un diplôme de troisième degré. Et à la question de savoir pourquoi ne renouerait-il pas avec le métier, il répond : «Le cœur n'y est plus, surtout quand on assiste à une dégradation désolante de l'infrastructure sportive et de la mentalité des joueurs et des dirigeants qui veulent, avec arrogance, s'immiscer dans les moindres détails techniques et tactiques»... Pour lui, même des entraîneurs, comme Amanildo, H'mid Dhib ou André Nagy qui l'ont marqué dans sa carrière, trouveraient d'insurmontables difficultés pour redonner à notre football son lustre d'antan. «Tout doit être reconstruit sur des bases solides en prenant pour modèle les pays qui ont réussi dans ce sport roi et dans le domaine sportif en général. En Tunisie, notre travail est à court de volume et de qualité à la fois».