40% des jeunes intéressés par la migration non réglementaire sont âgés de 20 à 24 ans et 27% d'entre eux sont d'un niveau d'instruction supérieur. La migration non réglementaire est-elle devenue une véritable obsession qui hante l'esprit de milliers de jeunes tunisiens ? Pour quels motifs des jeunes n'envisagent-ils l'avenir que dans un projet hasardeux et plein de risques, lequel projet consiste à prendre le large pour s'aventurer vers l'inconnu ? Pour trouver des réponses à ces questions et percer le mystère d'un phénomène de société qui représente, — outre l'entorse préméditée faite aux lois internationales et nationales réglementant la migration —, un fléau qui menace la vie des jeunes, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) et la Fondation Rosa Luxemburg viennent de publier les résultats d'une enquête intitulée : «Les jeunes et la migration non réglementaire : Enquête de terrain des représentations sociales, les pratiques et les attentes». Cette enquête s'inscrit, notons-le, dans le cadre du projet Boats4peoples. Ce travail a été mené sur un échantillon représentatif de 1168 jeunes âgés entre 18 et 34 ans. Ces jeunes proviennent de six quartiers populaires, situés dans les six régions principales, à savoir le nord-est, le nord-ouest, le centre-est, le centre-ouest, le sud-est et le sud-ouest. Les gouvernorats ont été choisis d'une manière tout à fait aléatoire : Ariana, Le Kef, Kasserine, Mahdia, Médenine et Gafsa. Encore faut-il souligner que les jeunes enquêtés obéissent à un ratio genre inégal, soit 53,3% de jeunes hommes contre 46,7% de jeunes femmes ; les hommes étant les plus concernés par la migration non réglementaire que les femmes. Une communauté lésée Moult facteurs convergent vers le renforcement de ce sentiment de dépaysement dans son propre pays natal. Les jeunes habitant les quartiers populaires, voire défavorisés font partie de communautés régies par des principes et des pratiques non conventionnelles, lesquels principes et pratiques ont été, des décennies durant, ancrés et consolidés par ce détachement infligé, refoulé et intégré. A la Cité Ettadhamen à l'Ariana, tout comme à la cité Ezzouhour à Kasserine, à Zarzis ville à Medenine, à la cité Ezzahra à Mahdia, au quartier Taïeb M'hiri au Kef ou encore à la cité Essourour à Gafsa, les enfants s'éveillent à la vie dans un environnement social à dominante populaire, sous-développé où la précarité, le chômage, la violence et l'anarchie font bon ménage avec la solidarité anti-pouvoir et anti-loi et où, pour gagner son pain quotidien, tous les moyens sont bons, quitte à s'intégrer dans les réseaux de commerce parallèle, de trafic illicite et même de trafic de drogue. La présente enquête dresse le profil de la population pro-migration clandestine, pour qui toute issue et tout horizon se limitent à un voyage vers l'inconnu, à un saut dans le vide en direction des pays de la rive nord de la Méditerranée. En effet, 16,9% des enquêtés avouent avoir commis des vols, 6,9% ont intégré des réseaux de trafic de drogue, 11,7% avouent avoir commis des actes de délinquance, 10,5% d'entre eux ont intégré le commerce illicite, 9,6% ont commis des actes de banditisme, 18,7% reconnaissent être en conflit avec la loi, 9,2% ont adhéré à des réseaux de migration clandestine et 24,4 % ont des conflits dans leurs milieux familiaux. Tous ces indicateurs trahissent le mal-être qu'endurent ces jeunes dans un milieu hostile et propice à la violence. Des jeunes qui, pourtant, éprouvent le même besoin d'élan et ambitionnent de vivre dignement, tant sur le plan économique que sur le plan social. Des ambitions qui se heurtent à des obstacles de différentes natures. Une injustice mondiale consentie Les politiques internationales continuent, en effet, à pencher la balance vers cette disparité frustrante, voire opprimante, au détriment notamment des pays de la rive sud de la Méditerranée. Les Tunisiens et les Libyens voient leur avenir en Europe. La porte de l'Europe la plus proche sur le plan géographique n'est autre que l'Italie. Pour les Marocains, c'est vers l'Espagne qu'ils se dirigent dans l'espoir d'y trouver travail, dignité et beaux jours. Un avenir qui ne serait possible que si l'on acceptait de risquer sa vie, en raison notamment des restrictions politiques et juridiques instaurées par les pays de l'Europe et consenties par les pays maghrébins et africains, dont le visa. Néanmoins, tout jeune occidental bénéficie de son plein droit de circulation dans les pays sud-méditerranéens. Seul le passeport constitue son laissez-passer. Faute de moyens à même d'ouvrir aux jeunes issus des quartiers défavorisés les voies de la migration réglementaire, ces jeunes optent pour des moyens et des réseaux illicites. En effet, près de la moitié des jeunes aspirent à la migration clandestine, ce qui est encore plus intrigant, c'est que la migration non réglementaire s'avère être, de plus en plus, l'alternative de prédilection pour une jeunesse désenchantée. Avant les événements du 14 janvier 2011, 29,7% des jeunes croyaient en le rêve du migrant chanceux. Cette vision a été amortie un tant soit peu durant les premières années de la révolution pour se situer à 25,1%. Choqués par les barques de la mort, par les dossiers des migrants portés disparus et qui restent, jusqu'à nos jours des thèmes tabous, d'une part, et croyant aux promesses mielleuses des politiciens, de l'autre, certains ont cru bon de patienter dans l'espoir d'un dénouement heureux de la crise. Actuellement, 45,2% des jeunes enquêtés pensent à la migration clandestine. Un désir de fuite qui ne cesse de se confirmer, renforcé qu'il est par la grande déception politico-économique, par la dégradation des conditions de vie, par la tension sociale, le terrorisme, la violence, l'impuissance de l'Etat, l'hystérie collective et bien d'autres échecs post-révolutionnaires. Pis encore : actuellement, 40% des jeunes intéressés par la migration non réglementaire sont âgés de 20 à 24 ans et 27% d'entre eux sont d'un niveau d'instruction supérieur. Gagnez notre confiance ! Pour lutter contre ce phénomène et tâcher de gagner, enfin, leur confiance, ces mêmes jeunes dépités livrent les solutions aux décideurs. Si seulement ils décrocheraient, enfin, le droit à l'emploi, à l'insertion professionnelle et à l'autonomie économique, ce qui les aiderait à améliorer leurs conditions de vie ; si seulement ils pouvaient vivre dans des quartiers décents et être considérés comme des parties prenantes dans la gouvernance, si seulement ils pouvaient déceler les intentions sincères — car concrètes — des décideurs, lesquelles intentions seraient traduites par la reddition de comptes de la part des corrompus, par la transparence des nominations des responsables régionaux et par un franc-parler responsable, ces jeunes auraient alors des raisons pour dépasser ce sentiment d'être des laissés-pour-compte et s'intégrer pleinement dans leur société.