Vingt-deux mille morts recensés pendant les dernières quinze années et des centaines de personnes portées disparues. Selon une étude, 45% pensent sérieusement émigrer en Europe Il ne passe pas un jour ou presque sans que des cadavres n'échouent sur les rivages de la Méditerranée. Sur une période de 15 ans, allant de 2000 jusqu'en 2014, quelque 22 mille personnes y ont péri, selon les chiffres de l'Organisation internationale pour la migration (OIM). Des centaines d'autres sont portées disparues. Toutefois, la prévalence des migrants clandestins potentiels s'annonce en hausse. Soit 45 % de nos jeunes pensent sérieusement à fuir leur misère, affichant la volonté de rejoindre l'autre rive du bassin méditerranéen, aux portes de l'Europe. C'est ce qui ressort d'une « étude sur les jeunes et la migration non réglementaire : enquête de terrain des représentations sociales, pratiques et attentes », récemment réalisée par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes). Présentée lors d'une conférence de presse, tenue hier matin à Tunis, l'enquête a été menée sur un échantillon aléatoire de 1.168 individus avec 46,7 % de filles et 53,3 % de garçons, répartis, pêle-mêle, sur six quartiers populaires, à raison de 200 jeunes interrogés par quartier. La liste comprend les cités Ettadhamen à l'Ariana, Ezzouhour à Kasserine, Taieb M'Hiri au Kef, Essourour à Gafsa, ainsi que Zarzis-ville (Medenine) et la commune Zahra à Mahdia. Des zones à forte densité démographique, souffrant d'une infrastructure de base mal en point, dépourvue des moindres conditions de vie favorables. Cela dit, le modèle de développement, adopté depuis des années, est l'une des raisons à pousser ces jeunes mal lotis au désespoir. A ce propos, le président du Ftdes, M. Abderrahmane Hedhili, a fait remarquer que le flux migratoire post-révolution est le plus grand que la Tunisie ait jamais connu au fil de son histoire contemporaine. « On a enregistré plus de 35 mille jeunes migrants, alors que les pouvoirs publics recensent 27 mille seulement...», dit-il, soulignant que six ans après, il y a, maintenant, un potentiel important prêt à migrer. Et c'est là que le bât blesse, s'indigne-t-il. Profilage d'un migrant Abondant dans le même sens, M. Abdessattar Sahbani, membre actif du forum et le sociologue qui a eu la charge de conduire l'enquête en question, a commencé par mettre en évidence l'ampleur du phénomène de l'émigration clandestine. Un sujet qu'on n'a pas fini de débattre, sans succès. Et pour cause. « On a tenté, par des méthodes scientifiques, de mettre le phénomène sous le feu des projecteurs, en étudiant les prédispositions des jeunes à la migration non organisée», argue-t-il. Quelles en sont leurs motivations ? Qui sont derrière ? Autant de questions à poser pour en savoir plus. Mais, il y a aussi d'autres variables socioculturelles censées donner matière à réflexion. Deux tiers des interrogés sont âgés de 20 à 29 ans, 50% d'entre eux sont d'un niveau secondaire et 27, 6% universitaire, tandis que les analphabètes ou ceux ayant un faible niveau de scolarisation avoisinent les 17%. Alors que les chômeurs représentent 24% du total des interrogés dont 70% sont en train de chercher un emploi. Les variables d'ordre familial, social et économique sont aussi prises en compte, afin de savoir si la migration est perçue comme alternative à une situation précaire ou une tendance de luxe. Selon l'étude, 40% des personnes interrogées ont déclaré vivre sous le seuil de la pauvreté, 17% sont plus ou moins aisées. Alors que 36% ont répondu n'avoir vu rien changer depuis la révolution. « Cela nous explique la situation explosive que vit le pays et qui continue à courir le risque de nouveaux mouvements sociaux. D'autant plus que les relations jeunes-forces de sécurité ne sont pas au beau fixe», prévient-il. Et d'ajouter que l'échantillon-objet d'étude a démontré qu'il existe encore plusieurs problématiques juvéniles, à savoir la violence, consommation des stupéfiants, conflits familiaux et bien d'autres causes qui forcent l'option pour la migration. Malgré la révolution, la tranche d'âge sondée ne semble porter aucun intérêt à la chose politique, ni à la vie des partis non plus. Seulement 13% des jeunes questionnés ont indiqué avoir participé à des manifestations partisanes. Pourtant, un paradoxe est ressorti : plus de 68% de ces jeunes sont contre la migration non organisée, 30% pour. Néanmoins, il y a encore volonté à s'y porter, sérieusement, candidats surtout en cas de présence d'un ou de plusieurs membres de la famille parmi la diaspora. « Réfléchir ainsi à la migration dépasse de loin les niveaux de conversation, elle constitue un moyen de recherche effectif de mécanismes et d'examen d'un ensemble de scénarios qui rendent l'acte possible.. », déduit l'étude. Abordant les périodes avant, pendant et après la révolution, M. Sahbani est parvenu à tirer la conclusion suivante : « 45 % des personnes interrogées sont, actuellement, dans un processus de réflexion sur la migration.. ». Autrement dit, une forte prédisposition à « mourir ».