Par Soufiane BEN FARHAT Professeur émérite d'histoire à l'université de Princeton, Arno J. Mayer avait écrit en 2008 un célèbre article où il rapportait l'anecdote suivante : «Caligula, troisième empereur de Rome, était un despote cruel. On raconte néanmoins qu'il caressait une idée — significative du peu de respect que lui inspirait son personnage public : nommer son cheval préféré, Incitatus, d'abord au Sénat puis à un poste de consul. Caligula sous-entendait peut-être que la mécanique de l'Empire romain fonctionnait par elle-même et, une fois lancée, qu'elle pouvait s'affranchir de sa cohorte de césars». Spéculer aujourd'hui sur un changement brutal dans la politique extérieure américaine est un vain mot. Même si l'Amérique de Donald Trump n'est plus celle de ses prédécesseurs. On assiste, depuis peu, au retour en force de l'empire russe, avec une force de frappe et une puissance de feu attestées en Syrie. Cela met fin à la suprématie américaine des dernières décennies en sa qualité de seule et unique superpuissance au monde. Et cela explique le fait que Donald Trump semble plutôt enclin à endosser la fameuse doctrine Monroe «l'Amérique aux Américains». Il est vrai que l'empire américain est né de la guerre contre l'Espagne, en 1898, ainsi que de la doctrine de la Pax Americana, depuis la Seconde Guerre mondiale. Plan Marshall, suprématie du FMI et de la Banque mondiale, Otan et fréquentes interventions militaires américaines un peu partout dans le monde caractérisent cette Pax Americana. Le président américain sortant, Barack Obama, en a été un illustre continuateur, malgré son prix Nobel de la paix. Et pour cause. Une récente étude du Council on foreign relations (CFR), think-tank qui conseille le Pentagone, a révélé des chiffres ahurissants. En 2016, les USA ont largué 26.171 bombes, soit 72 bombes par jour et trois toutes les heures. Ces bombardements ont touché la Syrie, le Pakistan, l'Afghanistan, la Libye, le Yémen et la Somalie. Le think-tank assure par ailleurs que ces données sont «indiscutablement sous-estimées, considérant que les données fiables pour les frappes aériennes ne sont disponibles que pour le Pakistan, le Yémen, la Somalie et la Libye». Le CFR ajoute : «Une seule «frappe» peut en réalité faire référence à plusieurs bombes et munitions d'après la définition du Pentagone». Au bout du compte, le bilan de Barack Obama est loin d'être reluisant. Il a continué la même politique que George W. Bush. Il a sacrifié, lui aussi, à la politique de la canonnière. Malgré ses généreuses promesses électorales en la matière. N'avait-il pas promis de faire fermer le camp de Guantanamo en moins d'une année de son investiture en 2008 ? N'avait-il pas promis de faire rentrer au bercail les soldats américains stationnés en Afghanistan ? Il n'en fit rien, dans un cas comme dans l'autre. Bien pis, les observateurs avertis pointent du doigt les accointances et compromissions des Américains avec Daech en Syrie. Sous le couvert d'aide à l'opposition syrienne, on a recruté, acheminé, armé, entraîné et diligenté des milliers de combattants terroristes sous la bannière de Daech et de ses alliés en Syrie. Donald Trump a été intronisé ce 20 janvier en tant que 45e président des Etats-Unis d'Amérique. Détrompons-nous, par-delà les envolées lyriques et déclarations en trompe-l'œil, il ne dérogera point à la règle qui veut que les présidents américains changent et que l'empire américain demeure. Economiquement, les Américains ne sont guère mieux lotis. Malgré des signes d'essoufflement, l'économie chinoise continue son expansion. Elle est talonnée en cela par certains pays asiatiques et du sud-est asiatique. Les mesures protectionnistes n'y pourront guère, les opérateurs économiques américains continuant leur ruée vers l'Asie. Finalement, l'empire américain demeure. Qu'il s'agisse des présidents Bush père, Clinton, W. Bush où Barack Obama, le topo est le même. Le complexe militaro-industriel du sud des Etats-Unis d'Amérique continuera à sévir. Et les guerres latentes, spontanées ou fomentées de toutes pièces en sont le terreau de prédilection.