Des commentateurs anglophones pince-sans-rire et qui ne veulent pas rater une belle occasion pour taquiner les Européens, estiment que les pays qui posent problème au sein de l'Union européenne sont «Portugal, Ireland, Greece and Spain (Espagne)» (PIGS), ce qui en anglais veut dire cochons. Mais au-delà de ce classement anecdotique, il est vrai que ces quatre pays de l'UE, auxquels certains économistes ajoutent l'Italie, passent par des crises budgétaires sérieuses qui menacent la solide unité et la forte intégration européennes et risquent de mettre en cause l'un des meilleurs acquis de l'UE : l'euro. Si tous les regards se tournent actuellement vers la Grèce, c'est parce que ce maillon le plus fragile de la construction européenne a lâché le premier. Ce pays dont le déficit budgétaire s'élève à 13% du PIB (le maximum permis par Bruxelles est de 3%), dont la part de la dette nationale dans le PIB s'élève à 113,4% et qui, pour ne pas sombrer, a un besoin urgent de 53 milliards d'euros rien que pour l'année en cours, se trouve dans une situation inextricable. La Grèce est aujourd'hui dans l'incapacité de résoudre ses problèmes parce que, en entrant dans la zone euro, elle a légué ses compétences monétaires à la Banque centrale européenne, et du coup, elle ne peut ni dévaluer sa monnaie pour revigorer ses exportations, ni même imprimer des billets de banque, comme le font beaucoup de pays en crise, pour faire tourner son administration en attendant des jours meilleurs. De plus, il lui est extrêmement difficile d'exercer les compétences qui relèvent de la souveraineté grecque comme par exemple procéder à de sévères coupes budgétaires et instaurer un régime d'austérité. Les ouvriers et les employés grecs sont apparemment fortement mobilisés pour refuser de payer le prix de la crise. L'Union européenne est dans une situation aussi peu enviable et ne sait réellement pas sur quel pied danser. Si elle vole au secours de la Grèce, elle risquera de créer un précédent que le Portugal, l'Espagne, l'Irlande ou encore l'Italie ne tarderont sûrement pas d'exploiter. Si elle s'abstient de le faire, elle courra le risque de profonds bouleversements au sein de la zone euro. Et si elle opte pour une solution consistant à permettre au FMI et aux puissances extra-européennes (Chine, USA) d'intervenir pour sauver l'un de ses membres en difficulté, le prix à payer en termes d'image, de réputation et de perte de confiance sera très élevé. Maintenant, après des décennies d'élargissement continu du marché commun européen vers le sud et l'est de l'Europe, des voix s'élèvent pour dire que si les critères du mérite plutôt que la complaisance étaient utilisés dans l'examen des candidatures, beaucoup de pays n'auraient pas eu leur place au sein de l'UE. En effet, dès les premières années qui ont suivi son adhésion à la Communauté Economique Européenne en 1981, il était évident que c'est la politique et non l'économie qui avait ouvert la porte du club européen à la Grèce. Ce pays venait à peine à l'époque de sortir de la dictature militaire (le fameux régime des colonels), et n'avait entamé une certaine ouverture qu'en 1974, c'est-à-dire sept ans seulement avant de rejoindre le club à côté de vieilles démocraties industrielles comme l'Allemagne ou la France. Les Européens vivaient alors un peu comme une incongruité embarrassante le fait que ce «berceau de la culture occidentale» soit marginalisé politiquement et économiquement. Il fallait donc l'arrimer au train rapide européen et lui apprendre lavitesse, en le familiarisant avec le développement rapide multiforme tel qu'il est pratiqué dans les grands pays européens. C'était un peu comme ce joueur amateur de football qui, parce qu'il est pistonné, s'est assuré une place dans l'équipe des professionnels et qui, après 30 matches, on s'est rendu compte qu'il était une entrave plutôt qu'un atout pour l'équipe. Aujourd'hui, près de trente ans après son adhésion à l'Union européenne, la Grèce peine toujours en queue de peloton avec une économie qui ne pèse pas plus que le dixième de l'économie allemande et dont la part dans le PIB de l'UE ne dépasse guère les 2,6%. Pour revenir à cette crise sans précédent qui étouffe aujourd'hui la Grèce, il faut dire que les politiciens grecs ont fait preuve d'irresponsabilité en «manipulant» les données statistiques pour pouvoir accéder à la zone euro, comme on les accuse aujourd'hui. Et d'après plusieurs experts et économistes, ils ont «manipulé» aussi les chiffres relatifs au déficit budgétaire de l'année 2009. Peut-être regrettent-ils maintenant ces «manipulations», car ils auraient aujourd'hui plus de marge de manœuvre, s'ils avaient gardé leur monnaie nationale, le drachme, au lieu d'adopter une monnaie totalement inadaptée à la taille et aux moyens de leur économie. Quand aux déficits budgétaires, ils suivent la même logique que les maladies. Plus on laisse les choses traîner, plus graves seront les conséquences… Maintenant que le mal est fait, le remède pour la Grèce se trouve en Allemagne. Il ne fait aucun doute que ce pays, de par la taille de son économie et de par son influence inégalée au sein de la Banque centrale européenne a les moyens financiers nécessaires au sauvetage de la Grèce. Mais a-t-il les moyens politiques de le faire ? Comme toute démocratie qui se respecte, l'Allemagne doit tenir compte à la fois de son opinion publique et des débats sur le sujet au sein de la coalition au pouvoir à Berlin. La tendance générale en Allemagne, si l'on en croit les sondages et les déclarations de responsables politiques est contre l'envoi de l'argent du contribuable allemand pour résoudre les problèmes économiques grecs. D'autre part, en tant que première puissance économique européenne, l'Allemagne a aussi de lourdes responsabilités concernant la bonne marche de l'Union européenne et la protection de la zone euro qui passe par de graves turbulences. On comprend, dès lors, la situation intenable dans laquelle se trouve Madame Merkel qui ne sait pas trop s'il vaut mieux voler au secours de la Grèce ou la laisser nager par ses propres moyens, avec le risque bien sûr de se noyer.