Houeyda ne se lasse pas de mélanger les cartes dans ce roman qui professe une autre idée du choc des civilisations (dans son extrême le plus caricatural : la guerre) dont elle fait ressortir des personnages génériques qui sont d'abord portés par l'élan de leurs appartenances mais qui découvrent bien vite que ce qu'ils ont en commun dépasse de loin ce qui les dresse les uns contre les autres. Un roman qui revisite le concept du dialogue des civilisations. Akouda, un village du sahel tunisien à l'ombre des oliviers et des deux marabouts Sidi Abdelqader et Sidi Elwerfelli, à la veille de la venue de l'invasion des troupes italiennes et leurs alliées allemandes alors que le village est, comme toute la Tunisie, sous occupation française. Les villageois sont partagés entre faire allégeance aux nouveaux venus, avec le glaive des représailles si la France gagne, et entre aller à Sousse pour acheter des armes et faire face. Mais il y a une troisième voie qui émergera au fil du roman... Deux soldats, deux mères Second acte, Akouda est désormais sous triple occupation (les Français qui sont là en principe mais qui sont en déroute pour l'heure, les Italiens et les Allemands qui ont remporté la première manche). Un soldat allemand basé céans envoie une lettre à sa mère. Il lui confie son étonnement devant le comportement d'un agriculteur d'Akouda qui semble parfaitement insensible à l'occupation du terrain par les troupes et qui se consacre chaque jour à retourner la terre encore et encore avec une bêche primaire puis qui apporte de l'eau dans une simple jarre de terre cuite pour donner quelques rasades à chaque olivier. Les journées de l'agriculteur s'écoulent exactement sur le même rythme : il fait ses prières, il laboure la terre des oliviers, il refait ses prières... Une sorte de sacerdoce qui lui fait gagner le respect de tous et le soldat écrit à sa mère que cet agriculteur lui a donné la vocation de devenir lui-même agriculteur. L'auteur pousse le bouchon plus loin avec une autre lettre, à la fois similaire et différente, d'un autre soldat à sa mère; un Afro-Américain qui décrit aussi son étonnement de ces Africains de la terre de ses ancêtres mais qui sont blancs. Il lui écrit de ce qu'il a perçu de bribes de leur culture et de leur religion. Il se dit dévasté par tant de contrastes et de découvertes et regrette cette guerre dont il voit chaque jour les atrocités contre ces gens qu'il s'était mis à respecter. Ni anges ni démons ! L'auteur insiste que cette attitude qui a attiré le respect des envahisseurs n'est pas seulement le fait des agriculteurs car les notables d'Akouda aussi semblent se désolidariser de cette guerre qui n'est pas la leur. Ce n'est pas à proprement parler le choc des civilisations auquel on s'attend quand une armée envahit un pays. Et les témoignages se poursuivent alors que les personnages et les nationalités se mélangent comme on battrait un jeu de cartes. Une trame complexe sur laquelle se tisse la saga des premiers personnages du roman, majoritairement tunisiens, mais pas tous car, encore une fois, l'auteur se laisse aller à son plaisir d'assortir et de réassortir des métissages, parfois improbables, souvent singuliers mais viables comme diraient les économistes. Des revirements spectaculaires, des loyautés, des trahisons dans des mélanges pas toujours heureux parce que tous ces personnages ne sont ni anges ni démons. Les Tunisiens y ont une place de choix par ce quelque chose, ce je-ne-sais-quoi, que brosse l'auteur et qui les laisse se rencontrer sur un point final : nous finirons par ramener notre pays dans le sens de l'Histoire, nous ne sombrerons pas dans l'oubli, nous nous battrons et nous ne baisserons la tête que devant le Seigneur ! Samuel Huntington, chantre du conflit des civilisations, dit : ‘'Dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l'humanité et la source principale de conflit sont culturelles.'' Mais Houeyda semble lui répondre qu'au contraire la source principale de dialogue est culturelle. L'ouvrage ‘'Akouda 1943'', 278p., mouture arabe Par Houeyda Editions Arabesques, 2017 Disponible à la Librairie al Kitab, Tunis