Beaucoup de jeunes filles ont décidé de porter le voile non par conviction religieuse, mais pour éviter d'être harcelées dans les espaces publics Les jeunes filles tunisiennes portent de plus en plus le voile. Elles sont partout. Dans les établissements scolaires, les bureaux, mais aussi dans les salons de thé et les cafés. Les voilées n'hésitent pas à fumer dans les espaces publics et vibrer au rythme endiablé de la musique dans les gradins des festivals. Le voile n'est plus l'apanage de ce parti islamiste prohibé au temps du président déchu. Il ne reflète plus, non plus, une conviction religieuse. La révolution a beaucoup changé la donne et le voile se libère de plus en plus de l'étreinte de l'islam traditionnel. Il s'est déjà immiscé dans le monde de la mode. Le port du voile, une échappatoire ? Tunis la capitale, il est 18h00. Le soleil commence à se coucher. Les cafés et salons de thé sont déjà bondés de jeunes et moins jeunes. Filles et garçons se retrouvent en groupe ou en solo, le temps de boire un café ou de fumer un narguilé et se débarrasser du stress d'une journée de travail. Au bout d'un coin, deux jeunes filles portant le voile ont déjà pris place. Fehmi, le propriétaire du salon de thé, nous explique: «Elles sont des habituées, elles viennent fréquemment à ce lieu et y passent des heures dans l'espoir de rencontrer un client. Et le voile alors ? «Détrompez-vous, ce n'est qu'un moyen pour dissiper les doutes, avoir la paix et déjouer la vigilance des agents relevant de la brigade des mœurs. C'est un nouveau moyen d'arnaque, ajoute-t-il. Elles sont plusieurs à porter le voile et afficher cette fausse image d'une fille pratiquante. L'habit ne fait pas le moine et les apparences sont le plus souvent trompeuses. Il ne faut surtout pas juger les gens selon leur apparence. Derrière ce voile et cette tenue respectueuse de bonnes mœurs, se dissimule parfois toute l'hypocrisie d'une personne qui n'hésite pas à user de tous les subterfuges pour arriver à ses fins pécuniaires et aussi pour commettre des actes de vol. Le look moderne des filles voilées Le port du voile comme appât pour le mariage, oui ça existe, nous explique Ramla. Plusieurs de ses amies qui vivent dans un milieu conservateur usent de ce moyen détourné pour accroître les chances de mariage ! Les hommes tombent dans ce piège, et croient niaisement que le port du voile est synonyme de pudeur, conclut-elle. Avec la montée du port du voile après la révolution, les filles voilées ont de plus en plus un look moderne qui rompt avec un style désuet axé sur la couleur noire. Un nouveau style qui met en exergue leur beauté et qui cherche plutôt l'ostentation et la séduction qu'autre chose. Les feuilletons turcs qui ont envahi nos petits écrans après la révolution ont influencé le goût vestimentaire de certaines filles. Le foulard ou plutôt le hijab turc, est à la pointe de la mode, nous dit-on. Nos jeunes aiment s'habiller fashion. Elles sont tombées sous le charme de la beauté des stars qui portent le voile dans les feuilletons turcs. Selma rappelle dans ce contexte le hadith du prophète «Allah est beau. Il aime la beauté». Elle ajoute que «l'Islam n'est pas incompatible avec la modernité, c'est une religion bien ouverte, et il n'est pas interdit pour nous, femmes voilées, de nous habiller élégamment et d'une façon moderne, tout en restant pudiques». Profonde mutation vestimentaire après la révolution Le voile des temps modernes n'est plus un habit à connotation religieuse. On s'habitue de plus en plus, dans les rues de Tunis, à voir les jeunes filles au visage fardé, vêtues d'un jeans bien serré et portant le foulard. Une profonde mutation est vécue au niveau de la tenue vestimentaire, résultante d'une mondialisation galopante qui ravage tout sur son passage et qui se propage rapidement par le biais des nouvelles technologies de la communication. «Certaines femmes et jeunes filles ont presque franchi toutes les lignes rouges de la décence», fait remarquer Nadia, encore attachée au port du voile dans sa forme la plus classique. Elle se maquille légèrement et porte une tenue sobre. Mais ce n'est pas l'avis de Narjesse, haut cadre dans une société, qui est voilée et porte une tenue vestimentaire moderne. «J'ai fait le pèlerinage, je suis pratiquante et l'Islam n'interdit pas à la femme de se faire belle ou de se maquiller», explique-t-elle. Elle ajoute : «Il faut juste que la femme sache imposer le respect en se respectant elle-même». Aussi paradoxal que cela puisse paraître, une majorité des filles rencontrées disent qu'elles se voilent pour se protéger et avoir la paix contre les harcèlements dans les rues, mais ce n'est pas toujours le cas. «On est embêté même en portant le voile», fait remarquer Zeïneb, qui travaille comme caissière dans un espace commercial. Le voile n'est plus porté que par conviction religieuse dans notre pays. Le nombre des filles et des femmes qui optent pour ce choix est en nette recrudescence, surtout dans les quartiers populaires où elles le font par tradition et par envie de protection. Le voile a détrôné le foulard traditionnel que portaient jadis nos aïeules. L'image de Bourguiba en train d'enlever les voiles des femmes après l'Indépendance est toujours là, ancrée dans la mémoire des Tunisiens. Son geste n'était pas anodin. Il traduit une expérience d'émancipation unique en son genre dans le monde arabo-musulman, une soixantaine d'années après, c'est le retour de manivelle, les Tunisiennes se voilent à nouveau par tradition, par conviction mais aussi pour se protéger et séduire.