Certaines assument leur statut de mère célibataire et refusent d'être considérées comme un «cas social». Elles sont marginalisées et stigmatisées dans une société qui s'agrippe à ses traditions arabo-musulmanes et abhorre tout mariage non conforme à la loi. Une société où l'éducation sexuelle fait défaut et constitue un sujet encore tabou. Et dès que « l'enfant maudit » issu d'un mariage coutumier ou d'une union hors mariage fait son apparition dans la vie, elles cherchent à s'en débarrasser pour échapper à l'anathème. Dépourvues d'assistance et de soutien, elles s'isolent pour éviter l'opprobre d'une société dont l'arsenal juridique et les lois sont axés, dans ces cas de figure, sur la condamnation et non sur l'assistance. Infanticides et abandon des bébés : un constat amer La société ne se montrera pas clémente à l'égard de la maman, pas plus que du bébé, et se débarrasser de cet invité indésirable devient inéluctable après neuf mois de souffrance. La nuit d'amour s'estompe et laisse la place aux nuits cauchemardesques. Le sentiment de culpabilité pousse au crime pour éviter les regards méprisants des gens. Ces derniers mois, on a enregistré une recrudescence des cas d'infanticide et d'abandon de bébés nés hors mariage, surtout dans les quartiers populaires, ce qui pose réellement un vrai problème. Les cas se succèdent et ne se ressemblent pas. A Sousse, une jeune fille n'a pas hésité à se débarrasser de son nouveau-né en le jetant dans une fosse septique après l'avoir décapité avec l'aide de sa mère. A Tozeur, un nouveau-né a été retrouvé abandonné près d'une mosquée. A Kairouan, deux hommes et une femme à bord d'une camionnette déposent un bébé avant de prendre la fuite et la liste est bien longue. On vit dans une société qui ne pardonne pas ce genre de comportement, la loi non plus. On ne badine pas avec l'honneur. Elles ne se rendent compte qu'elles sont enceintes que tardivement, craignent le qu'en-dira-t-on et sont en général mal informées du soutien et de l'accompagnement dont elles peuvent bénéficier, ce qui les pousse à opter pour la solution qui paraît la plus facile et la plus pénible aussi et qui consiste à se débarrasser au plus vite du bébé. Elles refusent d'être classées comme des « cas sociaux » ou «mère d'un enfant adultérin». Des statistiques contradictoires Pas de statistiques crédibles et fiables concernant le vrai nombre de naissances hors mariage du côté des autorités officielles, mais selon le récent Rapport statistique annuel sur l'activité des délégués à la Protection de l'Enfance 2016 et qui a été publié en mars 2017, c'est à Sousse et Monastir qu'on a enregistré le nombre le plus élevé d'enfants nés hors mariage et sans soutien familial, avec 65 enfants pour le premier gouvernorat et 61 pour le second. Au total, 147 enfants sans soutien familial ont été recensés en 2016 contre 282 en 2015 (138 à Sousse, 70 à Monastir, 14 à Sfax et 14 à La Manouba).Toutefois, le rapport ne précise pas le nombre total des naissances hors mariage. En 2014, et selon une directrice au ministère des Affaires sociales, ce nombre avait dépassé les 800. Ces statistiques sont revues à la hausse par des ONG qui militent pour les droits et le soutien des mères célibataires et l'aide aux enfants nés hors mariage et la réduction des cas d'abandon. Certaines de ces associations avancent actuellement un chiffre qui dépasse les 1.500 avec une grande concentration dans les quartiers populaires du Grand-Tunis et les zones rurales. Ces statistiques sont cependant peu fiables. Société civile, le grand soutien des mères célibataires Plusieurs associations ont été créées dans notre pays dans le but d'apporter le soutien nécessaire aux mères célibataires et leurs enfants, et la mise à leur disposition de foyers d'accueil où tout leur est offert pour dépasser le cap de la culpabilité et assurer leur réinsertion dans la société avec l'assistance de psychologues. Mais il y a toujours le handicap du financement et la plupart de ces associations ne peuvent accueillir qu'un nombre réduit de mères célibataires et leurs enfants. Un peu frustrant quand on sait que d'autres ONG jouissent d'un apport financier important malgré l'insignifiance de leurs activités. Toujours est-il, il y a souvent cette accablante défaillance au niveau de l'éducation sexuelle dans notre pays. Selon le sexologue et président de l'Observatoire tunisien des couples et de la famille (Otcf), Hichem Chérif, c'est l'absence de l'éducation sexuelle qui a contribué à cette situation. D'autres représentants d'ONG pointent du doigt la mentalité rétrograde de certains fonctionnaires dans les centres de santé publique et qui, faisant fi des lois en rigueur, se comportent comme de fervents opposants à l'avortement. Le sexologue Hichem Cherif évoque dans le même contexte les jeunes filles victimes d'inceste dont on ne parle peu ou prou. «Ces cas existent dans certaines régions rurales et même dans quelques milieux aisés», nous confirme-t-il. Et de poursuivre: «Les bébés issus de ces relations sont envoyés ad patre, ni vu ni connu».Notre interlocuteur a insisté sur le besoin d'améliorer l'accès à une éducation sexuelle intégrée proche de nos jeunes comme le préconise la Fédération internationale pour la planification familiale. Il faut briser le mur du silence sur le sujet de la sexualité en général qui demeure un tabou dans notre société.