Par Soufiane Ben Farhat On ne le redira jamais assez. Certaines dates tiennent le haut du pavé du Panthéon. Telle la proclamation de la République, en ce lointain 25 juillet 1957. Une année et des poussières après l'Indépendance, autre haut fait des plus illustres. Aujourd'hui, bien évidemment, l'écrasante majorité des Tunisiens vivent en République depuis leur naissance. Mais ça n'a guère été le cas au fil des siècles, voire des millénaires. Une longue histoire d'institutions plus iniques les unes que les autres émaillent notre grande histoire. Le peuple n'a jamais, ou presque, eu droit de cité, malgré l'existence, par intermittence, de quelques despotes éclairés ou de grands réformateurs. Et un nombre grandiose de Tunisiens et Tunisiennes sont tombés au champ d'honneur dans leur intrépide lutte pour l'Indépendance et la République. Et même les lendemains de la proclamation de la République, en 1957, n'ont guère été toujours heureux. Malgré les acquis, les valeurs de la République ont été souvent bafouées, foulées aux pieds, malmenées par le fait du prince et de ses séides, les archaïsmes politiques, les survivances des systèmes despotiques ancestraux. Ce qui, avec le temps, a engendré des révoltes, des jacqueries, des soulèvements. Pour aboutir, en 2011, à la révolution. Dès lors, la IIe République a été proclamée. Elle aussi dans les crispations et les douleurs. Si la première République a mis en place les institutions fragmentaires et inachevées, ce qui n'entache guère son privilège d'antériorité et sa légitimité, la IIe République s'attache à asseoir les fondements du régime démocratique. Un long et pénible processus d'édification des institutions démocratiques se poursuit, plus de six ans après la révolution du 14 janvier 2011. Au bout du compte, par-delà l'hommage, il y a la gloire. Malgré les blessures, les souffrances, les iniquités, rien n'est plus passionnant que l'édification des nouvelles institutions démocratiques républicaines. Qu'il s'agisse de la nouvelle Constitution, du Parlement, des instances constitutionnelles, du Conseil supérieur de la magistrature ou de la Cour constitutionnelle, pour ne citer que ces aspects, l'histoire, la grande histoire est à l'œuvre. Et les Tunisiens s'y investissent tant bien que mal, tantôt sous des formes conflictuelles, tantôt au gré d'élans démocratiques même balbutiants. Aujourd'hui, IIe République demeure, elle aussi, inachevée. L'absence d'une politique de réformes économiques et sociales entretient les tensions. Ajoutons-y le système politique fondé en bonne partie sur la partitocratie. Ce qui engendre des excroissances perverties, des déraillements et l'ajournement navrant de la mise en place des vraies institutions républicaines et de leur inviolable souveraineté. L'argent louche, voire sale, s'immisce dans les interstices de la politique. La montée des isolationnismes et des coteries aussi. Il en résulte un certain discrédit du politique. Et une méfiance non déguisée du commun des mortels à l'endroit de ceux supposés représenter la politique, à différents niveaux. C'est pourquoi, par-delà l'hommage et la gloire, l'anniversaire de la proclamation de la République interpelle à d'autres titres. Et requiert de nouvelles significations. Celles, avant tout, de la responsabilisation et de la comptabilité de tous les acteurs républicains. L'on ne saurait en effet tolérer que les institutions républicaines soient accaparées, sinon séquestrées, par des forces occultes, ou réduites à des tremplins pour des desseins sectaires et inavoués. Le plein jeu des institutions républicaines souveraines doit être de mise, dans tous les cas de figure. Le système d'exclusion et de stigmatisation aussi doit être battu en brèche et éradiqué. La persistance de pans entiers de la société tunisienne dans la pauvreté, la misère, l'ilotisme et l'analphabétisme en fait des «républicains» de second degré, des laissés-pour-compte du système, de nouveaux prolétaires. Et il en est de la République comme du progrès, qui ne vaut qu'à partir du moment où il est partagé par tous. Parce que la République est synonyme aussi de liberté et de dignité. Last but not least, la célébration de la fête de la République serait incomplète sans l'hommage appuyé à la mémoire des pères fondateurs et de Habib Bourguiba, père de l'Indépendance et premier président de la République tunisienne. Un homme hors pair qui, malgré les déboires et carences de son régime, a été, avec des générations de réformateurs, militants et proches collaborateurs, un des fondements essentiels du devenir de la nation tunisienne. Dont acte.