Pour financer la sécurité sociale, des solutions douloureuses certes existent. Cela va de l'augmentation de certaines taxes fiscales et parafiscales à la création d'une TVA sociale de 10% sur les produits de consommation importés en passant par l'augmentation des contributions dans le secteur public. Pour le financement des retraites, «une dose de capitalisation privée» est proposée. Qui a dit que les solutions n'existaient pas ? Mais faut-il pouvoir les appliquer Quand les caisses sociales (Cnss et Cnrps) sont en situation difficile, c'est la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) qui manque de liquidités et frôle la faillite. On a vidé toutes nos caisses après la révolution. Ce n'est plus une rumeur. Les propos de M. Fadhel Abdelkéfi, ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale et des Finances par intérim, devant l'ARP, ont reflété la difficile situation des caisses sociales. L'Etat est au pied du mur. La situation actuelle est le corollaire de la montée en puissance des contestations sociales, des augmentations salariales après la révolution et des recrutements abusifs dans la fonction publique de personnes victimaires qui ont peu ou jamais cotisé auprès des caisses de retraite, selon des analystes. Ce ne sont pas là les vraies raisons et le salut demeure dans la réforme du système de répartition actuel de la sécurité sociale axé justement sur la justice sociale, avancent d'autres experts. Des statistiques alarmantes Le déficit des caisses sociales est devenu récurrent en dépit de l'injection de 300 millions de dinars en 2016 et de 500 millions de dinars l'année en cours. Ce déficit continue de se creuser et va dépasser le cap de 1 milliard en 2017, d'où la nécessité d'accélérer la réforme des systèmes de sécurité sociale, avait déclaré en substance Mohamed Trabelsi, ministre des Affaires sociales, lors d'une journée d'étude sur la réforme des systèmes de sécurité sociale en mars dernier. Il a rappelé que les créances de la Cnss et de la Cnrps auprès de la Cnam ont atteint plus de 1,7 milliard de dinars en 2016 et dépasseront les 2,5 milliards à la fin de l'année en cours. C'est la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) qui a subi de plein fouet l'effet boule de neige dû au manque de liquidités dans ces deux caisses. Selon les statistiques officielles publiées par la Cnam, le nombre des prises en charge a considérablement augmenté. Il était de 270.055 en 2008 et a atteint 1.262 923 en 2015. Celui de prestataires de soins conventionnés avec la Cnam a grimpé à 15.124 en 2015 alors qu'il n'était que de 7.906 en 2008. Les dépenses de cette caisse sont passées de 905 millions de dinars en 2008 à 2.013 millions de dinars en 2015. Les difficultés financières par lesquelles passent les caisses sociales constituent un fait avéré qui ne date pas d'aujourd'hui. Mohamed Trabelsi avait dévoilé en séance d'écoute à l'ARP en mai dernier que les dettes des caisses sociales auprès de la Cnam sont estimées à 2.326 millions de dinars au 21 avril 2017, et que des mesures ont été prises pour alléger ces dettes. La crise entre la Cnam et le Syndicat des pharmaciens d'officine La Cnam a bien souffert de cette descente aux abîmes. La dernière crise entre les pharmaciens d'officine et la Cnam a mis à nu les difficultés financières par lesquelles passe cette dernière et a impacté négativement la bourse des assurés dont certains furent acculés à payer, en entier, les frais de leurs ordonnances. Malgré l'accord conclu in extremis avec la Cnam en décembre 2016 pour la reprise du mode « tiers payant », le bureau national du Syndicat des pharmaciens d'officine (Spot) rappelle que cet accord est conclu pour une période transitoire durant laquelle les pharmaciens étaient appelés à être vigilants. Contacté à ce sujet, Mustapha Laroussi, secrétaire général adjoint du Spot, nous a expliqué que le syndicat a pris en considération les conditions difficiles du pays pour conclure cet accord à la fin de l'année passée. Il ajoute toutefois qu'il existe un grand problème de financement du côté de la Cnam en raison du manque de liquidités au niveau des caisses sociales. Une cellule de crise permanente a été mise en place et on est ouvert à toutes les éventualités en raison de la situation alarmante de la Cnam, nous a-t-il déclaré, ajoutant que le Spot doit préserver les droits des pharmaciens. Avec la crise de la Cnam qui paye avec des retards de plus en plus longs, les responsables des mutuelles cherchent à répercuter ces retards sur les pharmaciens. La situation difficile de la Cnam a eu un impact très négatif sur le secteur des pharmaciens mais on espère que des solutions seront trouvées dans les plus brefs délais, conclut-il. Les raisons d'un déficit annoncé Si certains imputent le déficit de la Cnam au manque notoire en liquidités dans le camp des deux « pourvoyeurs de fonds », à savoir la Cnss et la Cnrps, Hafedh Maamouri, ex-ministre de l'emploi, professeur d'université et vice-président de l'Association tunisienne de droit social et des relations voit les choses sous un autre angle. Ce déficit était prévisible depuis 1986, et tous les gouvernements qui se sont succédé n'ont jamais opté pour des solutions durables. Ils n'ont pas pris des mesures globales pour atteindre l'équilibre budgétaire à long terme. Que de solutions temporaires prises pour résorber le déficit ou le réduire. La réforme de la sécurité sociale doit être envisagée dans le cadre d'un contrat social entre les partenaires sociaux. Il s'agit de toute une réforme du modèle sociétal en Tunisie, a-t-il mentionné. En raison du retard observé au niveau de cette réforme, nous risquons de commettre toujours les mêmes erreurs du passé en venant à la rescousse de nos caisses sociales et non en les réformant. Hafedh Maamouri préconise l'augmentation de certaines taxes fiscales et parafiscales pour mieux financer la sécurité sociale, la création d'une TVA sociale de 10% sur les produits de consommation importés, l'amélioration des taux d'extraction des contributions, l'augmentation des contributions dans le secteur public, la promotion des investissements et la réduction du chômage, la prolongation de l'âge de la retraite. Aussi, faut-il assurer la bonne gouvernance de la sécurité sociale. Il conclut qu'aucune réforme ne peut réussir sans un consensus avec les partenaires sociaux et l'Union générale des travailleurs tunisiens en particulier. Le porte-parole de la Cnam se veut rassurant On entend toujours parler du déficit de la Cnam, mais la réalité est tout autre, nous affirme dans un entretien Salah Hmidet, le porte-parole de la Cnam. La situation n'est pas désastreuse comme on l'avance, ce n'est ni une situation de déficit, ni de déséquilibre, la Cnam n'est pas isolée de la situation générale des caisses de sécurité sociale. La loi 71- 2004 a institué la Cnam comme seul organisme financeur de soins pour les institutions publiques (Cnrps) et privées (Cnss). Ceci a permis l'apparition du système de cotisation qui a impacté négativement la Cnam. Hmidet confirme que la Cnam n'est pas en situation de déficit, elle continue à fonctionner normalement, mais le problème actuel est un problème de liquidité. Les cotisations des deux caisses sociales arrivent toujours d'une manière tardive, avec les incidences négatives que tout le monde connaît au niveau relationnel de la Cnam avec ses prestataires, tient-il à expliquer. Le principal objectif actuel des deux caisses précitées est de s'acquitter de la pension des retraités. Nous gérons actuellement un système dit de répartition au niveau de la sécurité sociale qui fait que l'actif paie toujours pour le retraité. Dans un système de retraite par répartition, les cotisations, versées par les actifs au titre de l'assurance vieillesse, sont immédiatement utilisées pour payer les pensions des retraités. Toutefois, son équilibre financier dépend du rapport entre le nombre de cotisants et celui des retraités. Dans d'autres pays anglo-saxons et aux USA, on applique le système de la capitalisation. Dans ce régime, la logique est différente : les actifs d'aujourd'hui épargnent en vue de leur propre retraite. Selon des experts, plusieurs pays, face aux difficultés de financement des retraités, ont décidé d'introduire « une dose de capitalisation privée » dans leurs systèmes de protection sociale. Pour dépasser cette problématique de cotisation, il faut penser à l'avenir à créer une institution de collecte de cotisations à l'instar de ce qui existe dans d'autres pays, comme en France où il existe le réseau des Urssaf qui constitue le « moteur » du système de protection sociale, avec pour mission principale la collecte des cotisations et contributions sociales, et sources du financement du régime général de la sécurité sociale. Le système de cotisation actuel a, malheureusement, scellé le sort de la Cnam à la Cnss et la Cnrps, fait remarquer Salah Hmidet. Le porte-parole de la Cnam se montre plutôt rassurant, il confirme que cette dernière va dépasser la crise grâce aux réformes en vue qui vont toucher le système de la sécurité sociale en Tunisie. L'adoption par l'Assemblée des représentants du peuple du projet de loi amendant la loi n°2004-71 du 2 août 2004 relative à l'institution d'un régime d'assurance-maladie, a prévu de fournir une liquidité régulière à la Cnam d'environ 70 millions de dinars par mois, ajoute-t-il . Une bouffée d'oxygène pour la Cnam en ces temps de difficultés financières. Ceci va lui permettre d'honorer ses engagements. Malgré ses difficultés, la Cnam continue à assurer sa mission convenablement, elle est en train de s'acquitter de ses engagements. La Cnam dépense aujourd'hui entre 8 et 9 millions de dinars par jour (dépenses de soins). On espère mettre à exécution le projet de la carte électronique, ce qui va lui permettre surtout d'éviter le problème de dépassement de plafond, conclut-il.