Le directeur exécutif de Nida Tounès, Hafedh Caïd Essebsi, a promis de tout faire pour « restituer le pouvoir au parti vainqueur ». « Nous sommes satisfaits de nos ministres. Ils ont prouvé leurs compétences et il n'y a aucune raison de les évincer », a estimé, de son côté, Imed Khemiri, le porte-parole du mouvement Ennahdha. Or, la plupart des ministres dont le rendement est jugé défaillant appartiennent justement aux deux « grands partis ». « Certains d'entre eux n'ont pas les compétences d'un fonctionnaire travaillant au sein d'une administration », selon Noureddine Taboubi, le secrétaire général de l'Ugtt. Le remaniement ministériel tant attendu est devenu un véritable casse-tête pour le chef du gouvernement, Youssef Chahed, qui repousse de jour en jour l'heure de son annonce. Il devait le dévoiler samedi dernier, soit un an jour pour jour après l'investiture du gouvernement d'union nationale, selon une source fiable. Mais des difficultés ayant surgi, entre-temps, ont contraint le chef du gouvernement à reporter cette annonce vraisemblablement après l'Aïd. Face aux pressions des uns et des autres, il a dû prendre son mal en patience pour ne pas trop vexer « ses soutiens naturels » et composer avec eux dans la mesure du possible. Son gouvernement est, en fait, le fruit du fameux « Document de Carthage », résultat de l'initiative du président de la République Béji Caïd Essebsi et qui a été signé par neuf partis politiques et trois organisations nationales. Il définit les priorités du gouvernement d'union nationale autour de six principaux axes : la lutte contre le terrorisme, la croissance économique, la lutte contre la corruption, l'équilibre des finances, le développement régional et la consolidation de l'action gouvernementale. Une année après, le bilan est différemment jugé par les partenaires, selon les critères de chacun. Il est globalement positif pour les uns, mitigé pour les autres, mais catastrophique pour une certaine opposition de plus en plus critique envers le gouvernement et surtout envers les deux grands partis qui le composent, Nida Tounès et Ennahdha. Les exigences de Nida et d'Ennahdha Le remaniement devrait, au départ, toucher six ministères dont les trois ministères restés vacants après le limogeage des ministres de l'Education et des Finances et la démission de celui du Développement régional et de l'Investissement. Des noms ont même circulé comme possibles rentrants dans l'équipe gouvernementale, mais c'était compter sans la surenchère de certains partis pour obtenir de nouveaux maroquins ou placer leurs hommes aux postes qu'ils revendiquent et qui pensent qu'ils leur reviennent de droit ! Un bras de fer est engagé avec le chef du gouvernement pour engranger le maximum de postes. Le directeur exécutif de Nida Tounès, Hafedh Caïd Essebsi, est monté au créneau pour dénoncer, dans un statut publié sur sa page Facebook, lundi 28 août, les appels à un gouvernement de technocrates et de compétences. « Nida Tounès est le parti vainqueur des élections législatives et présidentielle de 2014. Et pourtant ses cadres n'ont pas bénéficié de la place qui leur est due lors de la formation des différents gouvernements », a-t-il écrit. Il a promis de tout faire pour « restituer le pouvoir au parti vainqueur », ajoutant que « dans les plus grandes démocraties du monde, le parti vainqueur des élections est en droit de nommer les représentants censés appliquer ses visions et ses conceptions dans la gestion des affaires du pays ». Inutile donc, selon lui, de chercher à noyer le poisson. Caïd Essebsi junior, qui est pour un remaniement large et profond, a présenté une liste de candidats qu'il juge aptes à assumer des responsabilités gouvernementales. Nida penche même vers le rétrécissement de la coalition actuelle pour comprendre uniquement deux ou trois partis seulement. Les autres partis comme Al Joumhouri et Al Massar devaient être évincés parce qu'ils ne représentent pratiquement rien. Ce n'est pas l'avis de son allié, le mouvement Ennahdha qui, tout en estimant le remaniement « urgent », le voit uniquement partiel pour combler les postes vacants au sein du gouvernement Chahed, arguant qu'en face « d'une année économique difficile, et à l'approche de la rentrée scolaire, la nomination des ministres des Finances et de l'Education s'avère une priorité ». Toutefois, il ne voit pas d'inconvénient à ce que le remaniement s'étende à d'autres départements jugés défaillants, mais sans toucher à ses ministres. « Nous sommes satisfaits de nos ministres. Ils ont prouvé leurs compétences et il n'y a aucune raison de les évincer », a estimé le porte-parole du mouvement, Imed Khemiri. Par contre, selon Ennahdha, un remaniement plus large et plus important devrait intervenir après les élections municipales et qui tiendrait compte des résultats du scrutin du 17 décembre prochain, au cas où il aurait lieu à la date prévue. Or, la plupart des ministres dont le rendement est jugé défaillant appartiennent justement aux deux « grands partis ». « Certains d'entre eux n'ont pas les compétences d'un fonctionnaire travaillant au sein d'une administration », selon Noureddine Taboubi, le secrétaire général de l'Ugtt. « Les candidats jusque-là présentés n'ont pas la compétence requise pour siéger au gouvernement », a-t-il jugé. Noureddine Taboubi, qui a appelé, samedi 26 août, à un remaniement ministériel « profond » et « urgent », a prévenu que la centrale syndicale « ne restera pas les bras croisés devant le partage du gâteau entre les partis politiques lors du remaniement ministériel ». Il a souligné que « le pays a besoin de personnes qui ont un esprit patriotique et qui soient capables de relever des défis ». Chahed est-il maître de ses choix ? Youssef Chahed sait qu'il n'est pas totalement maître de ses choix et qu'il doit essayer tant bien que mal de satisfaire les desiderata des partenaires du « Document de Carthage ». Il sait, également, que quelle que soit l'évaluation de ses ministres, certains sont « intouchables », parce qu'ils relèvent de la compétence du président de la République comme les Affaires étrangères ou la Défense, soit qu'ils sont protégés par le chef de l'Etat ou par leurs partis respectifs. Le 25 février dernier, quand il avait annoncé la nomination de Khalil Ghariani, vice-président de l'Utica à la place de Abid Briki, un ancien dirigeant syndicaliste, dans la fonction publique, il a dû faire marche arrière face aux coups de boutoir de l'Ugtt, et supprimer tout simplement le poste. Il ne veut pas connaître la même mésaventure. C'est pourquoi, il prend son temps, consulte tous azimuts avant de se décider. Déjà, une véritable bataille est engagée autour du ministère de l'Intérieur dont le titulaire actuel, Hédi Majdoub est démissionnaire depuis des semaines. Véritable centre de pouvoir, ce ministère régalien, contrairement aux trois autres, a toujours constitué un enjeu vital pour les partis au pouvoir. Le chef du gouvernement a son candidat, l'actuel directeur général de la garde nationale, un choix qui se trouve agréé par le président de la République, alors qu'Ennahda et Nida Tounès ont chacun le leur. Ils semblent même d'accord sur le retour de Najem Gharsalli à l'avenue Bourguiba, lui qui a déjà occupé le poste dans le premier gouvernement Essid. Or, ce dernier traîne derrière lui trois échecs cuisants : l'attentat contre le musée du Bardo en mars 2015, l'attentat contre l'hôtel Impérial à Sousse en juin 2015 et l'attentat contre la garde présidentielle en novembre de la même année. En plus, il est cité dans l'affaire d'atteinte à la sûreté de l‘Etat dans laquelle est impliqué Chafik Jarraya. Après les élections législatives d'octobre 2014, on croyait qu'on allait en finir avec l'instabilité gouvernementale qui a caractérisé les trois années précédentes. La coalition formée notamment des deux « ennemis » d'hier, Nida Tounès et Ennahdha, n'a pas tenu longtemps et le gouvernement Habib Essid a été éjecté par ceux-là mêmes qui l'ont, porté au pouvoir. Le chef du gouvernement Youssef Chahed, lui-même, était, il y a quelques semaine seulement, contesté, y compris parmi les siens et donné, à un moment, partant. Des noms avaient circulé pour le remplacer à la primature. Mais il a réussi à renverser la situation en sa faveur en lançant cette vaste opération « mains propres » pour gagner « ses galons d'homme d'Etat ». Aujourd'hui, il se trouve dans une situation inconfortable. Il a les mains liées et ne peut pas opérer un remaniement sans tenir compte des désirs des deux grands partis notamment. Sans leur accord, il risque de se faire désavouer par l'Assemblée des représentants du peuple. Ils totalisent à eux deux plus que la majorité absolue. A moins qu'il ne tente un passage en force, en évitant de se présenter devant l'ARP. La Constitution ne dit pas clairement qu'à chaque remaniement, le chef du gouvernement doit obtenir l'aval de l'ARP, comme nous l'avons expliqué dans un précédent article (voir La Presse du 24 août). Mais c'est plutôt le règlement intérieur de l'ARP qui l'édicte. Ou encore en passant devant l'Assemblée et mettre tout le monde devant ses responsabilités. La situation actuelle du pays ne tolère pas une crise gouvernementale, tellement les défis sont énormes. Conséquence de ces renvois, ministres et secrétaires d'Etat se perdent en conjectures sur leur avenir, ce qui pourrirait l'ambiance. D'ici là, l'Aïd portera conseil.