Peut-on parler de black-out autour du projet de réforme de l'enseignement ? Qu'y a-t-il derrière ce silence subit autour d'une des plus importantes mesures touchant à l'un des aspects porteurs d'espoir ? Et, somme toute, qu'en sera-t-il des milliers de recommandations élaborées par des dizaines et des dizaines de spécialistes durant de très longues heures et à longueur des rencontres organisées dans le cadre de commissions régionales et nationale depuis plus de trois ans ? Ces questions ne cessent de tarauder nos esprits et d'inquiéter les parents et les autres partenaires de l'institution éducative. Malgré les assurances données, coup sur coup, par le ministre de l'Education par intérim, Slim Khalbous, et le nouveau ministre, Hatem Ben Salem, l'opinion publique reste dubitative quant aux futures intentions des détracteurs de la réforme. Des intérêts idéologiques égoïstes et étroits tiennent en otage cette importante initiative dont les objectifs avoués visent à donner un nouvel élan à nos méthodes de travail et à réactualiser les pratiques pédagogiques et éducatives. En un mot, mettre notre institution éducative au diapason du XXIe siècle. Un partenariat lourd à traîner Pour certains, le fait de réaliser des avancées sur cette voie constitue un obstacle à leurs desseins. De simples petits détails suffisent à illustrer les projets réactionnaires prônés par les tenants d'une ligne rétrograde détachée des exigences modernistes. L'incident contre une enseignante à Sfax pour ses convictions personnelles, les récentes agressions contre des écolières à Douar Hicher, les pratiques antimixité observées dans certaines écoles (des enseignantes séparent, systématiquement, les garçons et les filles dans les rangs et dans les classes), etc. sont autant de signes précurseurs sur ce qui attend notre système éducatif. Il y a, forcément, dans cette mise en veilleuse du projet d'aggiornamento du système un préjudice certain. Car l'élaboration de propositions pratiques et opérationnelles est déjà sur le tapis. Ce qui manque c'est la mise en œuvre, le plus tôt possible. Sur ce point, le ministère est catégorique. La réforme se fera mais des réajustements seraient nécessaires. Des consultations seraient en cours pour reprendre les travaux des commissions en partenariat avec les divers intervenants. Jusqu'à présent, ces « intervenants» sont, bien sûr, le ministère avec les différentes administrations centrales, l'Ugtt avec ses syndicats généraux appartenant aux différents secteurs de l'éducation. Il y a, enfin, le réseau « Ahd » de la culture civique (à travers l'Institut arabe des droits de l'Homme, la Ltdh, le Snjt, l'AMT ...). De ce fait, c'est un comité tripartite qui s'est constitué pour travailler de concert dans le cadre de 26 commissions. C'est, donc, à partir du 23 avril 2015 qu'a été donné le coup d'envoi du dialogue national sur la réforme. De la fatigue, des énergies et des moyens financiers gaspillés pour rien ! A titre d'exemple, près de 480.000 dinars ont été consentis pour former plus de 2.000 personnes entre inspecteurs, enseignants et agents administratifs. 280 jours y ont été consacrés. Le processus en panne ? En tout état de cause, les outputs issus des 26 rapports régionaux ont été synthétisés et des commissions sectorielles ont été mises sur pied pour décliner ces outputs en visions et mesures cohérentes. Un aréopage de près de 270 experts, des représentants de plusieurs ministères ont été associés à cette action. Aujourd'hui, le processus est carrément en panne. D'importantes mesures sont suspendues attendant le bon vouloir d'on ne sait qui. Rien pour le moment n'indique que la réforme sera à l'ordre du jour. Elle ne semble plus constituer une priorité dans l'agenda politique. Pourtant, le ministère de l'Education assure qu'il s'est basé sur les grandes orientations tracées par cette réforme pour élaborer son « plan stratégique sectoriel » 2016-2020. Quand on passe en revue les principales étapes franchies dans cette opération de mise à niveau de l'école tunisienne, on comprend mieux l'appréhension des Tunisiens quant à l'immobilisme qui touche ce processus. D'aucuns s'interrogent sur cette série de mesures annoncées par l'ex-ministre Néji Jalloul et jamais mises en œuvre jusqu'à présent à l'instar de l'enseignement des langues au niveau du primaire, l'instauration des examens obligatoires en sixième et en neuvième, la mise en place d'un nouveau dispositif d'évaluation garantissant l'efficacité de l'évaluation en établissant une certaine équivalence entre les coefficients... De nombreuses mesures allaient être appliquées cette année mais il n'en a rien été, faute de non-activation de la réforme. Or, tout le monde sait qu'il y a des mesures urgentes à prendre. Un vaste chantier a été déblayé durant ces dernières années et dès qu'il était possible d'entamer les travaux réels, tout s'est arrêté net. Quand la machine va-t-elle redémarrer ? Personne n'est en mesure de le dire. Beaucoup de temps a été perdu depuis le départ, fin avril dernier, de N. Jalloul. Son successeur intérimaire n'a pas pu remettre la machine de la réforme en marche vu les dossiers prioritaires qu'il avait devant lui. A savoir assurer une bonne fin d'année scolaire et veiller au déroulement normal des examens nationaux. Le nouveau ministre, Hatem Ben Salem, est appelé à s'imprégner de l'esprit de cette réforme et à en connaître parfaitement les contours et les recoins pour engager un énième round de concertations, de consultations et de discussions. Pendant ce temps, les outputs issus d'un travail méticuleux de plusieurs années sera jeté aux oubliettes. Autrement dit, on efface et on recommence ou c'est tout comme ! Car comment expliquer, autrement, la relégation aux derniers rangs des préoccupations d'une aussi vaste entreprise que celle de la réforme du système éducatif ? Serait-ce dû à la multiplicité des partenaires ou à leur manque de représentativité ? Espérons que la reprise des travaux sur la réforme ne tardera pas et que, cette fois, elle sera menée à terme.