Quel regard les professionnels du cinéma africain portent-ils sur les JCC (Journées cinématographiques de Carthage)? Faut-il en repenser l'identité qui est, somme toute, à l'origine de leur spécificité? Comment la manifestation la plus ancienne d'Afrique et du monde arabe pourrait-elle maintenir sa place, son impact et son rayonnement dans la déferlante de festivals arabes et africains? Que faire pour attirer les cinéastes, notamment d'Afrique noire, afin que les JCC demeurent un centre de découverte de nouveaux talents arabes et africains? Les JCC sans un marché du film sont-elles dignes d'intérêt pour les producteurs et distributeurs du continent? Bref, ce sont là les questions et problématiques agitées en substance dans De Carthage à Carthage le documentaire réalisé par Khaled Barsaoui. De forme classique, ce film de 26mn, produit par «West side movie», propose un chassé-croisé d'interventions et d'opinions nourries d'images illustratives issues de plusieurs éditions des JCC entre les années 90 et 2000. Pour répondre aux problématiques posées, plusieurs points de vue se sont dégagés. Ainsi, au plan de l'identité des JCC, si certains professionnels ont appelé à la revisiter afin de l'élargir à d'autres cinématographies du Sud, Hassan Daldoul, producteur, insiste sur «la sauvegarde de la dimension arabe et africaine faisant l'originalité et la spécificité de la manifestation». Mahmoud Ben Mahmoud, cinéaste, constate que «l'africanité des JCC s'émousse quelque part, d'autant que le centre d'intérêt des médias locaux est tourné vers le cinéma arabe». Ce qui, à notre avis, n'est pas vrai, nos médias, notamment de la presse écrite, s'étant à plusieurs reprises souciés de l'africanité des JCC, faisant le point à travers nombre de commentaires, entretiens et dossiers. Encore faudrait-il qu'on les lise avant de lancer de pareilles affirmations. Certes, Gaston Kaboré, cinéaste burkinabé, soulève la question du clivage profond entre le nord et le sud de l'Afrique, étayé par les explications du cinéaste Férid Boughdir, déclarant que «les cinéastes et producteurs noirs africains ont, depuis les années 90, tendance à envoyer leurs films aux festivals européens consacrés aux cinémas africains». Mais le cinéaste sénégalais William observe que les JCC ont, depuis quelques années, initié plusieurs actions dont les ateliers de projets afin de stimuler la participation des cinéastes d'Afrique noire. A la problématique du positionnement des JCC entre le centre et la marge et la concurrence des festivals arabes notamment du Golfe, le cinéaste palestinien Rashid Maâsharawi a pertinemment répondu : «Le luxe et les hôtels 5 étoiles ne me tentent guère, si par ailleurs il n'y a pas de public dans les salles de cinéma». Enfin, la question de la distribution et du marché du film a été judicieusement traitée par feu Ahmed Bahaeddine Attia et le cinéaste éthiopien Haïilé Guérima et le fondateur des JCC, Tahar Cheriaâ, qui ont relevé «la nécessité de la distribution des films africains et arabes sur leurs propres écrans et sur les écrans du continent et de l'Europe». C'est là la pierre angulaire et le fondement de la production cinématographique de la survie et de l'émergence des cinémas africain et arabe. D'où la nécessité d'un marché pour ces cinématographies, aussi bien sur les grands que sur les petits écrans du continent et du reste du monde. Ainsi, outre les problématiques de fond que pose De Carthage à Carthage, qui sera probablement programmé lors de la 23e édition des JCC, il représente une agréable opportunité pour revoir les images d'archives des JCC des années 90 à 2008, de (re)découvrir, non sans nostalgie, les figures marquantes des cinémas arabe et africain, entre réalisateurs, acteurs, producteurs et distributeurs, figures dont certaines ont hélas disparu tels Youssef Chahine et A.B. Attia. Et cela sur une très belle musique de fond signée Ismaël Lo.