Le classement de la Tunisie dans la liste des paradis fiscaux par l'Union européenne a constitué l'événement de la journée pour les députés à l'Assemblée des représentants du peuple, alors qu'ils entamaient hier le débat général sur la loi de finances 2018. Un classement qui a provoqué l'indignation, surtout que les responsables européens n'ont cessé de déclarer leur soutien à la Tunisie, considérée comme un exemple réussi du «Printemps arabe», et leur appui pour la réalisation des réformes nécessaires afin de dépasser les difficultés économiques actuelles Cette liste noire comprend 17 Etats qui sont pointés du doigt pour ne pas avoir fourni les efforts nécessaires pour lutter contre l'évasion fiscale. Une nouvelle qui aura certainement un grand impact sur l'image de la Tunisie en tant que destination pour l'investissement, surtout dans une conjoncture économique des plus difficiles. En fait, la corruption, l'évasion fiscale et le marché parallèle sont trois fléaux dont souffre la Tunisie de manière substantielle depuis 2011 et qui ont certainement impacté la perception de notre premier partenaire économique. Mais ce classement interroge sur la portée des relations commerciales tuniso-européennes dans ce contexte particulier. Le soutien européen à la transition politique et économique tunisienne était toujours assez fort, selon les responsables de ce bloc économique, formulé par un appui financier et technique conséquent. Pour Badreddine Abdelkefi, député Ennahdha, ce classement a constitué une surprise eu égard aux efforts consentis par le gouvernement pour la lutte contre l'évasion fiscale, la corruption et pour le renforcement de la transparence. «Nous sommes surpris, mais nous voyons que ces efforts n'ont pas eu un écho auprès des institutions internationales. Cela pourrait être attribué à la lenteur dans l'application des réformes et au manque de réactivité de l'administration à ce niveau», souligne-t-il. Il a ajouté que les responsables politiques doivent montrer plus de vigilance à ce genre de classement parce qu'il a un impact sur l'image du pays et peut semer le doute quant à la capacité de la Tunisie à réussir sa transition politique et économique. Impact important De son côté, le député UPL, Tarak Fetiti, a affirmé que l'impact de ce classement pourrait être important sur la note souveraine de la Tunisie. Il a indiqué que le gouvernement doit procéder à la création d'une commission de crise pour le suivi. «Les pays qui nous sont proches font du lobbying pour défendre leur intérêt. Ce classement n'est pas juste. Dire que la Tunisie donne des incitations fiscales aux entreprises étrangères pour investir en Tunisie n'est pas un argument qui tient parce qu'il y a des pays voisins qui octroient plus d'incitations que nous», lance-t-il. Il a précisé que les incitations fiscales viennent à la 7e place des critères que l'investisseur prend en compte dans sa décision d'implantation dans un pays donné. Elles sont précédées par la justice, la stabilité politique et sécuritaire, les droits de l'Homme, etc. «Nous avons peur que ce classement entre dans le cadre de la pression quant aux négociations sur l'Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) avec l'Union européenne pour que la Tunisie fasse des concessions», estime-t-il, ajoutant qu'il faut veiller, en tant que gouvernement et parlement, à écarter la Tunisie de cette liste, surtout que ce classement pourrait impacter le soutien financier pour le pays. Des faiblesses Pour la députée Leila Chettaoui, ce classement reflète les risques auxquels la Tunisie est confrontée ces dernières années, indiquant qu'un rapport de la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf) relevant de la Banque centrale de Tunisie a déjà évoqué ces risques. «Ce rapport montre que la Tunisie est devenue une destination pour le blanchiment d'argent. Il souligne que les opérations d'escroquerie sont devenues très fréquentes. Il parle aussi du marché parallèle et de hauts risques dans le financement du terrorisme», précise-t-elle. En fait, ce rapport de 236 pages a été publié en avril 2017 et comporte une évaluation complète des risques sur la situation économique et financière et une présentation du cadre juridique et institutionnel du système tunisien pour la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et le rôle des autorités, des institutions de contrôle et de l'appareil sécuritaire dans cette lutte. Cette évaluation a montré que la Tunisie a un bon arsenal juridique et institutionnel pour cette lutte. Mais il existe également des faiblesses structurelles qui ont trait à la compréhension des risques, l'efficacité des mesures et des pratiques de contrôle, l'application des sanctions administratives de la part des appareils de contrôle et des autorités de régulation, la faible coordination entre les acteurs. Ajoutons à cela l'incapacité de certains établissements de contrôle et de sécurité à mettre en place des programmes efficaces de lutte, l'absence d'une stratégie de contrôle pour l'analyse des risques à cause de la faiblesse de l'analyse des données statistiques, le manque de ressources humaines dans les différents établissements concernés par la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.