Le taux d'inflation vient de dépasser la barre des 6%. Selon l'Institut national de la statistique (INS), il a atteint, en novembre 2017, 6,3%, avec des prévisions que ce processus inflationniste se poursuivra davantage pour atteindre même les 9%. Une situation qui interpelle sur les incidences d'une telle augmentation sur le pouvoir d'achat du consommateur, sur l'investissement et aussi sur les exportations, qui sont les moteurs fondamentaux de l'économie. Par rapport au mois d'octobre 2017, le taux d'inflation a augmenté de 0,7%, suivant un processus qui s'est accéléré cette année, à cause de l'évolution vertigineuse des prix de la plupart des groupes de produits. L'INS indique qu'en novembre 2017, la hausse des prix du groupe alimentation et boissons a atteint 1.5% à cause de l'augmentation des prix des volailles de 14.1% et des fruits secs de 7.5%. On note également une augmentation des prix des articles d'habillement et chaussures de 0.6%, enregistrant la même évolution pour les prix des vêtements, de 0.3% pour les chaussures et 0.8% pour les tissus. Pour le groupe meubles, articles de ménage et entretien du foyer, l'augmentation est de 0.7%, stimulée par la hausse des prix des meubles, tapis et autres revêtements de 0.7% et les prix des appareils ménagers de 0.7%. De même pour les prix du groupe logement qui se sont élevés de 0.3% sous l'effet de l'augmentation des prix des produits d'entretien et réparation des logements de 2%, d'après l'INS. Les tarifs des biens et services divers ont aussi évolué de +0,8%, suite à l'augmentation des prix des soins personnels de 1% et des effets personnels de 1,1%. Inflation structurelle "On s'y attendait. On a dépassé les 6%, ce qui est un cap important. Aujourd'hui, on constate que cette inflation n'est pas passagère ou conjoncturelle, elle est devenue structurelle. La première raison de cette poussée est évidemment la dépréciation du dinar et la hausse de l'inflation importée. Tous les biens importés ont vu leur prix augmenter. La deuxième raison est la flambée des prix des produits alimentaires frais, en plus de l'augmentation du prix du baril," explique l'économiste Ezzeddine Saidan. Il indique que le taux de 6,3% correspond au taux d'inflation annoncé et non pas réel. Il ajoute que l'inflation vécue par le citoyen n'est pas celle mesurée, du fait que le panier qui sert à mesurer l'inflation est largement dépassé et ne reflète plus le style de vie du Tunisien moyen. Selon M. Saidan, ce panier comprend des produits de base dont les prix sont administrés et subventionnés et ne sont pas soumis à la règle de l'offre et de la demande. De ce fait, l'inflation vécue serait plutôt autour de 10%, d'après lui. De son côté, Abdejlil Bedoui, économiste et membre du bureau directeur du Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), l'aggravation des déséquilibres entre l'offre et la demande a accéléré l'augmentation des prix et la montée du taux de l'inflation. Il affirme que ce déséquilibre est dû du côté de l'offre à une diminution de la production et l'augmentation du commerce parallèle, qui prélève une partie de la production et l'oriente vers l'exportation illégale. Il ajoute que la spéculation joue également un rôle dans cette montée inflationniste, du fait qu'elle maîtrise l'offre et aussi la capacité de stockage et de conservation. L'économiste souligne que l'augmentation prévue des taxes en 2018 va alimenter davantage cette tendance, s'agissant des droits de douane, de la TVA, des taxes sur la consommation et autres. Retombées Ce processus inflationniste a des incidences manifestes sur l'économie tunisienne. Il a tout d'abord un impact sur le pouvoir d'achat du consommateur qui se trouve pénalisé par la hausse des prix et sur sa capacité d'épargne. De l'autre côté, ceci va réduire les capacités compétitives des entreprises tunisiennes, selon M. Bedoui, au risque d'alimenter encore les déséquilibres macroéconomiques, que ce soit au niveau du budget ou de la balance commerciale. M. Saidan a expliqué également que cette situation impacte les possibilités de redressement de l'économie tunisienne. Il indique que cette inflation contribue à la dépréciation du dinar, tombant ainsi dans un cercle vicieux, où l'augmentation de l'inflation déprécie le dinar et la baisse du dinar alimente l'inflation. Pour cela, il affirme qu'il est impératif de monter un plan de redressement de l'économie pour pouvoir maîtriser l'inflation et stabiliser la valeur du dinar. Il appelle à une stratégie de sauvetage permettant d'engager des réformes de fond, de réaliser des niveaux de croissance plus importants et de créer de l'emploi et de la richesse. Pour M. Bedoui, il s'agit également de donner la priorité à la relance économique. "Ceci n'a pas été programmé dans le budget économique de 2018, qui a sacrifié cet objectif comparativement aux budgets précédents, bien qu'ils aient échoué à le réaliser. Mais disons qu'il n'y a pas eu de démarche sérieuse pour faire le bilan de ces budgets pour déterminer les raisons qui n'ont pas amené à la relance économique", lance-t-il. Il ajoute qu'il faut aussi lutter contre le commerce parallèle et la spéculation, prendre des mesures courageuses, systématiques et pour arrêter l'hémorragie de la balance commerciale et du dinar. Il indique que céder, sous la contrainte, à des augmentations des salaires pourrait maintenir le pouvoir d'achat, à court terme, mais si on ne s'attaque pas à l'origine du mal, on ne sortira pas du cercle vicieux inflationniste.