Quand on sait que les leviers de la décision ne sont pas entre les mains de la direction de Nida mais plutôt entre les mains de son président fondateur, on a de la peine à croire à une possible rupture d'un seul côté. Du côté de Montplaisir, on fait bon cœur contre mauvaise fortune et on continue à croire en la solidité des rapports entre Caïd Essebsi et Ghannouchi dont le deal, certes mis à mal, ne risque pas d'être rompu de sitôt L'échec de Nida Tounès de sauver son siège en Allemagne a sonné comme un coup de massue à l'intérieur du parti et dans les rangs de ses adhérents et ses sympathisants. Le mouvement qui, il y a trois ans, avait réussi à renverser toute la donne politique en remportant les législatives et la présidentielle, se trouve au plus bas de sa popularité, au point qu'il a été incapable de mobiliser 300 électeurs dans la circonscription d'Allemagne. Dopé par les sondages, pour la plupart biaisés, et soutenu par son allié le mouvement Ennahdha qui n'a pas présenté de candidat, Nida est tombé du haut de son piédestal. La chute a été dure, très dure même, car il s'agissait de la première échéance électorale, scrutée comme un vrai test pour le parti sous la houlette de Hafedh Caïd Essebsi et sa nouvelle équipe. La réaction ne s'est pas fait attendre et à l'issue d'une réunion de son bureau, Nida Tounès a fait savoir, dans un communiqué, qu'il réviserait ses rapports avec certains partis. Ses dirigeants se sont répandus sur les plateaux pour exprimer leur ressentiment contre leur «allié nahdhaoui» qui, selon certains d'entre eux, les a «trahis» en apportant son soutien au cyberdissident Yassine Ayari parce que proches de ses thèses. La réunion de ses cadres prévue samedi 23 décembre s'annonce chaude, surtout quand on sait que certains « ténors » du parti sont les artisans de la «sainte alliance» conclue au mois de Ramadan dernier, le 6 juin exactement, entre les deux mouvements, signés par les présidents des groupes parlementaires en présence de Rached Ghannouchi le président d'Ennahdha et Hafedh Caïd Essebsi, le directeur exécutif de Nida Tounès. Une alliance jugée contre nature par la plupart de partis politiques et critiquée par certains dirigeants des deux mouvements. D'ailleurs, les députés de Nida qui ont osé lever la voix contre la création d'une coordination entre les deux partis ont été tout simplement éjectés du groupe. Alliance «contre nature» Il faut revenir quatre ans en arrière pour parler du début d'un «deal» entre le président des deux mouvements, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi. Un «deal» conclu au mois d'août 2013 à Paris, au moment où le pays traversait l'une des plus graves crises de son histoire. Les deux hommes ont abordé toutes les questions même celles qui fâchent. Depuis, des pas importants ont été accomplis pour décrisper la situation et leurs rencontres n'ont été suspendues qu'au cours de la campagne électorale des élections législatives d'octobre 2014 avant de reprendre après la proclamation des résultats en vue d'aboutir à une forme de cohabitation entre Nida, arrivé premier avec 86 sièges, et Ennahdha deuxième avec 69 sièges. Ils ont, alors, scellé une forme d'alliance jugée «contre nature» pour pouvoir gouverner ensemble. Le code électoral, une aberration, ne permet à une aucune formation politique d'obtenir la majorité absolue pour pouvoir gouverner seule. D'où la recherche de coalition plus ou moins large pour diriger le pays. «Nous nous sommes trouvés dans une situation très difficile et il fallait prendre la décision d'une alliance gouvernementale qui constituerait une solution aux problèmes posés ou au moins ne les compliquerait pas davantage», avait, en son temps, expliqué le président de la République Béji Caïd Essebsi. Mais cette coalition a contribué à l'affaiblissement de Nida Tounès miné par «une guerre de clans et d'ambitions» qui a fini par consacrer la rupture définitive entre les parties rivales. Le parti a perdu son statut de premier groupe parlementaire au profit de son ancien rival, le mouvement Ennahdha qui selon, les démissionnaires, a réussi à le satelliser. Malgré les remous internes, les deux partis n'ont pas rompu leur alliance. Mieux, à la suite de la rébellion de certains de leurs partenaires dans le gouvernement d'union nationale, notamment Afek Tounès et Al Joumhouri, ils ont récupéré l'Union patriotique libre et son président Slim Riahi pour former une nouvelle «Troïka» contre toute autre velléité de déstabilisation. Ce «triumvirat» composé de Rached Ghannouchi, Hafedh Caïd et Slim Riahi a tenu trois réunions de concertation pour coordonner ses positions, notamment autour du choix du nouveau président de l'Instance supérieure des élections. Nida a-t-il les leviers de décision ? Mais depuis dimanche 17 décembre, un vent contraire a soufflé sur le paysage politique et qui risque d'ébranler la «sainte alliance» entre Nida et Ennahdha. L'échec du candidat de Nida Tounès aux élections législatives partielles dans la circonscription d'Allemagne semble avoir tiré la direction du parti de sa torpeur. Dans un communiqué signé par son directeur exécutif et rendu public dans la soirée de lundi 18 décembre, il a décidé de «revoir de manière courageuse ses rapports avec certains partis politiques», sans les nommer, et ce, au cours de la réunion de ses structures , initialement prévue les 23 et 24 décembre mais reportée aux 6 et 7 janvier prochain «pour de plus amples concertations». Mais ce n'est en fait qu'un secret de Polichinelle, puisque le parti visé est l'allié «stratégique» Ennahdha qui, selon des responsables «nidaistes», n'a pas tenu parole. Certains de ses adhérents en Allemagne ont voté pour le cyberdissident Yassine Ayari, parce que proche de leurs thèses. Les dirigeants de Nida Tounès ont annoncé l'annulation de la réunion de concertation, prévue hier, avec Ennahdha et l'UPL. Ils ne décolèrent pas face à ce « coup de poignard » porté dans le dos de leur parti. Mais la réalité du paysage politique est tout autre. Nida qui a éclaté en morceaux est la cible de tous les autres partis, victime d'une «campagne de dénigrement», selon l'un de se dirigeants. Et c'est grâce à son alliance entre les deux partis, que le gouvernement et le président de la République sont arrivés à faire voter toutes les lois y compris celle la plus controversée sur la réconciliation administrative. Depuis le vote de confiance au premier gouvernement Essid, le jeu politique entre les deux partis et entre leurs chefs respectifs, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi n'a pas failli, en dépit de quelques zones de turbulences. Car même si, pour le président de la République, Ennahdha n'est pas encore devenu «un parti démocratique national qui place l'intérêt de la Tunisie au-dessus des siens», il n'en demeure pas moins un allié politique important. Les dirigeants d'Ennahdha tentent de calmer les esprits et de jurer par tous leurs saints du paradis qu'ils n'ont pas trahi. Ils savent eux aussi que toute rupture impacterait la coalition gouvernementale déjà secouée par le départ d'Afek Tounes et d'Al Joumhouri et provoquerait un séisme politique. L'alliance scellée avec Nida Tounès, le 6 juin dernier, ne saurait être rompue. Ils ont réitéré leur attachement au consensus avec Nida Tounès, leur partenaire au pouvoir, et continuent à croire que les nuages qui traversent actuellement les relations seront, bientôt, dissipés. Quand bien même cette alliance «était difficile pour les deux partis, ennemis déclarés juste avant 2014», comme l'admettait Nourredine Arbaoui, président du bureau politique d'Ennahda, mais elle a jusque-là permis à Nida Tounès, recomposé autour de Hafedh Caïd Essebsi, et au mouvement Ennahdha de se partager le pouvoir. Et quand on sait que les leviers de décision ne sont pas entre les mains de la direction de Nida mais plutôt entre les mains de son président fondateur, on a de la peine à croire à une possible rupture d'un seul côté. Du côté de Montplaisir, on fait bon cœur contre mauvaise fortune et on continue à croire en la solidité des rapports entre Caïd Essebsi et Ghannouchi dont le deal, certes mis à mal, ne risque pas d'être rompu de sitôt.