La 4e édition des Rencontres du film documentaire de Redeyef qui a eu lieu du 20 au 24 décembre comporte des projections, des débats, des ateliers, des ciné-concerts et des rencontres avec plusieurs cinéastes tunisiens et étrangers. Focus sur le cinéma de deux cinéastes qui ont pris part à cet événement, le Tunisien Ridha Tlili et l'algérien Jamel Karkar. A travers les «regards» de deux jeunes cinéastes, Ridha Tlili, documentariste tunisien, et Jamel Karkar, documentariste algérien, on a atterri dans un terroir riche en découvertes précieuses. Grâce aux heureuses rencontres avec les habitants de la ville, les deux réalisateurs débarquent, posent leurs bagages, voyageant des hauteurs des montagnes jusqu'aux entrailles de la terre. Espaces impossibles Jamel Karkar, le réalisateur du film Atlal, a arpenté la ville de Redeyef à sa manière. La rencontre fortuite avec un jeune homme lui a permis de repérer une nature charismatique, révoltée, mais aussi hospitalière. Il fallait faire un tour, mais aussi un grand détour, derrière la ville, où un univers infini attend qu'on y pénètre. Dans le sud-est de la ville se trouve un monument historique où un fusil est dressé au beau milieu d'une nature abandonnée ; cette arme regarde les yeux bandés le premier lieu de contestation des Fellagas. La caméra du réalisateur a capté ce dialogue secret et l'a traduit en son propre langage ; en effet, ce sont les mouvements de la caméra qui traversent subtilement ces fresques naturelles peuplées de forces occultes et inconnues. Dans l'ouest, le ciel se prélasse devant un village agricole déserté, répudié où la nature devient elle aussi spectatrice de son propre drame, «c'est un lieu hors du temps», nous confie le réalisateur. Le cinéaste a préféré filmer le vide abondant de ces espaces bruts et abrupts, dont le décor épuré et sobre habille le ciel d'un voile hermétique. Ces maisons vides, ces portes fermées qui ne veulent jamais s'ouvrir, ces corps pierreux, ces cuillères retrouvées vivantes à la surface de cette terre, usées par le temps et par les fissures historiques mettent en scène «un paysage dramatique», où ces corps «sont noyés dans une nature extraordinaire», affirme Jamel Karkar. Le jeune homme en symbiose avec ce décor devient un personnage de western ; le mouvement intuitif de son corps traverse ces décors naturels et surnaturels, et s'arrête pour lire le poème du poète irakien Sargon Boulus. Cette expérience esthétique dévoile une Redeyef qui fourmille de vestiges, mais aussi de vertiges, où la terre vomit ses corps, et où la nature, face à ce jeune réalisateur, montre ses charmes et raconte, avec beaucoup de pudeur, ses drames, c'est sa manière de «ramasser le temps», selon l'expression de Peter Brook. Théâtre sans frontières Aïd Bououni est un chauffeur de camion. Féru de théâtre, cet homme habité par la scène, crée des pièces de théâtre dans la maison des jeunes qui ont pour thème les mines. Pour lui, la culture des mines doit être connue et vécue par le biais du langage théâtral. Comédien, metteur en scène, one man show, qui a beaucoup travaillé dans les théâtres de Tunis, au Théâtre National, Aïd Bououni est revenu chez lui, à Redeyef, pour travailler dans les mines, car il s'est avéré que le terrain de l'art est trop glissant pour lui. Ridha Tlili a suivi le personnage, est allé avec lui sur les lieux de travail, est entré dans sa maison, a assisté à une répétition d'une pièce de théâtre. Dans une pièce, où une scène est installée, on trouve ses filles qui jouent et le metteur en scène, qui les dirige. «Il faut jouer avec les sensations, tout est sensation au théâtre», explique le directeur d'acteurs. Cet artiste déchu, aux dents altérées par le phosphate, est un transmetteur d'anecdotes, de sketchs et de rires. Malgré la dureté et la cruauté de cette ville, cet homme garde la joie de vivre et son amour pour les couleurs : «J'aime le rouge, le rouge vif, éclatant, je déteste le gris». En rentrant de Tunis, à défaut de théâtre, ce créateur créait un univers innocent et pur, il plantait un arbre, multipliait les corps verts et peuplait son jardin de sensations riches en couleur. Les Rencontres du film documentaire de Redeyef nous ont offert une gorgée de cinéma frais à travers ces «regards», en mettant en lumière des points de vue, mais avant tout des points de vie. Ces films sans domicile fixe, qui seront projetés lors de la clôture ont comme abri la chaleur humaine, une chaleur errant dans les rues et dans les montagnes, qui, au gré du vent, hébergent une mine de découvertes et d'expériences qui respirent l'amour de la vie et de l'art.