Il y a dans le débat autour des dispositions communes une confusion entre l'indépendance à l'égard de l'Etat et l'indépendance par rapport au pouvoir politique. Les instances constitutionnelles font partie intégrante de l'Etat, mais elles doivent être indépendantes du pouvoir politique. L'indépendance passe inexorablement par l'incapacité de démettre un membre de l'instance de ses fonctions L'Institut tunisien des élus, avec le soutien du Fond national pour la démocratie, a organisé mercredi dernier une journée d'étude autour de la gouvernance des élections, et ce, en présence de l'ex-président de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), M. Chafik Sarsar, mais en l'absence des représentants actuels de l'Instance. Lors de son intervention, Sarsar a défendu les instances indépendantes, estimant qu'elles représentent une révolution dans la conception de l'idée de pouvoir. "La création d'instances émane d'une nouvelle idée basée sur une séparation horizontale des pouvoirs", explique-t-il. Des instances qui prennent plusieurs prérogatives qui étaient jusque-là des domaines réservés au pouvoir exécutif. "Est ce que le législateur aujourd'hui estime que l'indépendance est une erreur ? Je ne sais pas, mais en tout cas, il est important de protéger tout cela", a ajouté Chafik Sarsar. Toutefois, il ne s'agit pas de sortir du giron de la République. Pour Chafik Sarsar, également professeur de droit, il y a dans le débat autour des dispositions communes une confusion entre l'indépendance à l'égard de l'Etat et l'indépendance par rapport au pouvoir politique. "Il est évident que les instances constitutionnelles font partie intégrante de l'Etat, mais il est vrai qu'elles doivent être indépendantes du pouvoir politique", note-t-il. En d'autres termes, si les instances doivent travailler en toute liberté et sans l'immixtion du pouvoir politique, elles ne doivent, en cas aucun, échapper à la reddition des comptes. Pour Chafik Sarsar, l'indépendance passe inexorablement par l'incapacité de démettre un membre de l'instance de ses fonctions (à moins d'une grave erreur), mais également par un mandat fixé d'avance. Pour le contrôle, l'ex-président de l'Isie préconise des audits réguliers des activités des instances. Toutefois, il appelle à ce que les règles de gestion soient différentes de celles, contraignantes, des administrations publiques. "Lors des élections de 2014, nous avons trouvé des issues pour contourner ces règles contraignantes. Aujourd'hui, en Tunisie, lorsque vous achevez la construction d'un pont avec 6 mois de retard et un coût supplémentaire de 20% mais que vous respectez les procédures, personne ne vous demandera des comptes. Mais imaginez un seul instant qu'en respectant à la lettre l'ensemble des procédures, les bureaux de vote n'ouvrent pas le jour du scrutin ? Ç'aurait été une catastrophe", raconte Chafik Sarsar, qui déplore l'absence d'une visibilité, indispensable à une bonne gouvernance. Selon lui, il est important d'avoir des dates de scrutin bien connues de tous afin de ne pas être constamment dans l'improvisation. Pour sa part, Fadhila Gargouri, présidente de la chambre relevant de la Cour des comptes, a tenu à expliquer le rôle de la Cour des comptes, qui a dû suspendre ses activités pendant 5 mois pour se consacrer aux élections de 2014. "La Cour des comptes ne peut pas se transformer en commission de contrôle des élections", dit-elle en passant. La juge a indiqué que le travail de la Cour des comptes était de s'assurer de la légitimité de la collecte des fonds pour la campagne, de s'assurer que les dépenses sont légitimes et qu'elles ont été à l'intérieur de la circonscription électorale pendant la période électorale, de vérifier la crédibilité des comptes de campagne et enfin de traquer les éventuels crimes électoraux. "Hormis les crimes électoraux qu'ils relèvent du civil ou du pénal et qui sont transmis directement à la justice, le rapport de la Cour est le point de départ d'un contrôle politique effectué par les parlementaires", précise-t-elle. Le président de l'Institut tunisien des élus, Elyès Ghanmi, a de son côté considéré que la gouvernance des élections était cruciale pour la réussite de tout processus électoral. "Elle est un facteur déterminant de la légitimité démocratique des futures autorités locales qui seront mises en place au lendemain du scrutin du 6 mai 2018 et qui vont doter la Tunisie pour la première fois de son histoire d'un pouvoir local. C'est un élément crucial dans la relation de confiance avec les institutions politiques et les représentants qu'ils élisent", a-t-il déclaré à La Presse. Aussi crucial que l'efficacité des décisions et des politiques prises au regard du bien-être des citoyens. Selon lui, il est aujourd'hui fondamental de doter la gouvernance des élections d'un référentiel commun, c'est-à-dire d'une vision, des objectifs clairs et des critères d'évaluation partagés "en vue de donner une cohérence d'ensemble à un système fragmenté où s'entremêlent le politique, l'administratif, le financier, le judiciaire, et le médiatique".