Quand quiconque négocie au nom du gouvernement et prend des engagements que ce même gouvernement est dans l'obligation d'honorer et quand un ambassadeur étranger se comporte comme si tout lui était permis, on se demande qui gouverne réellement et comment ? Ceux qui disent que le pouvoir est désormais dans la rue et qu'il suffit de se pencher pour l'exercer et que quiconque est aujourd'hui en mesure de négocier au nom du gouvernement, de faire des promesses au nom du même gouvernement ou même de signer des engagements que le gouvernement se doit d'honorer n'ont pas finalement tort. Les événements nous montrent quotidiennement que le gouvernement est en train de céder ses prérogatives de son propre gré ou qu'il en est dépossédé de fait au profit d'associations de la société civile, d'organisations professionnelles ou de partis politiques qui agissent comme si les Tunisiens les avaient élus et leur avaient confié la responsabilité de gérer le pays. Et pour dire les choses crûment et clairement, on est en droit d'évoquer deux événements survenus ces derniers jours et qui ont suscité un grand débat poussant à une réflexion générale sur l'état actuel de l'exercice du pouvoir politique en Tunisie où personne ne sait plus qui gouverne, qui négocie au nom du pays ou qui garantit la concrétisation des mesures prises par le gouvernement comme, à titre d'exemple, les 7.000 opportunités d'emploi promises le 23 février dernier aux jeunes du bassin minier, dans le cadre de la résolution de la crise qui paralyse depuis le 20 janvier dernier la Compagnie des phosphates de Gafsa. La première affaire qui retient l'attention a trait à l'annonce par l'Ugtt que son secrétaire général, Noureddine Taboubi, vient de conclure avec la société allemande «Draxmaier», spécialisée dans la confection des câbles de voitures, un accord selon lequel elle va recruter 4.000 ouvriers qui viendront s'ajouter aux 7.000 travailleurs qui exercent déjà au sein des quatre antennes de la société déjà installées en Tunisie. D'autre part, la délégation syndicale conduite par Noureddine Taboubi et comprenant les secrétaires généraux adjoints Mohamed Ali Boughdiri et Anouar Ben Gaddour est parvenue «à convaincre la partie allemande de lancer une nouvelle usine en Tunisie avec une capacité d'emploi de 2.000 ouvriers». Donc, si on fait les comptes, on découvre que Noureddine Taboubi est parvenu à dénicher «à l'issue de la visite de travail qu'il effectue actuellement en Allemagne», comme le précise le communiqué du département de l'information relevant de l'Ugtt, quelque 6.000 emplois au profit des travailleurs tunisiens au sein d'une entreprise allemande «dont les responsables apprécient hautement les avantages qu'offre la Tunisie en matière d'investissement». Questions : Noureddine Taboubi dispose-t-il des qualités requises pour signer un accord d'une telle importance avec l'entreprise allemande «Draxmaier» ? En d'autres termes, quelles garanties a-t-il assurées à la société allemande pour l'encourager à recruter 4.000 nouveaux travailleurs et à lancer une nouvelle usine qui emploiera 2.000 ouvriers à un moment où les investisseurs étrangers rechignent à retourner en Tunisie en dépit de tous les appels lancés par le gouvernement, craignant justement les grèves à répétition et les sit-in interminables dont beaucoup imputent la responsabilité à l'Ugtt ? Par ailleurs, force est de constater que Taboubi réussit en Allemagne tandis que Bouali M'barek échoue à Gafsa ! L'ambassadeur qui n'en fait qu'à sa tête La deuxième affaire qui a provoqué une vive polémique est bien celle relative à la rencontre que l'ambassadeur français Olivier Poivre d'Arvor a eue avec les membres du conseil de direction de l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie), au moment où les Tunisiens vivaient au rythme du dépôt des listes candidates aux élections municipales qui se tiendront le 6 mai prochain. Que pouvait cacher ou justifier cette rencontre avec un diplomate qui ne rate aucune occasion pour se comporter «comme une partie prenante au sein du paysage politique national au point que ses rencontres avec les responsables des partis politiques au pouvoir ou dans l'opposition et ses visites dans les régions sont devenues monnaie courante et n'étonnent plus personne», comme le soulignent plusieurs observateurs considérant que l'Isie n'avait pas à établir des rapports avec une ambassade étrangère ? «De plus, ajoutent ces mêmes observateurs, la rencontre avec le diplomate français intervient à un moment très sensible, celui des préparatifs des élections municipales, ce qui peut pousser à craindre une certaine forme de pression ou d'intervention dans le processus électoral». Les responsables de l'Isie ont beau indiquer que la rencontre était programmée depuis des mois, beaucoup de Tunisiens n'apprécient pas le geste de l'Instance et soulignent que «l'Isie doit se mettre à l'abri de toute forme d'interventionnisme et fermer la porte aux critiques».