Le citoyen n'est pas encore habitué à s'informer et à aller jusqu'au bout de sa quête en données à caractère public. Par ailleurs, certaines dispositions de la loi organique relative au droit d'accès à l'information ne sont ni respectées ni appliquées et les institutions publiques s'abstiennent encore de publier systématiquement leurs informations « Droit d'accès à l'information, un an après l'entrée en vigueur de la loi » est le thème central qui a fédéré toutes les rencontres régionales organisées par l'Instance d'accès à l'information (Inai), depuis sa création en septembre dernier, avec les structures publiques et la société civile. La conférence nationale, tenue hier à Tunis, se veut le couronnement d'actions de sensibilisation sur la mise en application de la loi en question et la réactivité constatée par rapport aux demandeurs d'informations. L'évaluation à mi-parcours a donné lieu à une quasi-unanimité sur un bilan pas assez satisfaisant. Ce droit, tant sollicité, se voit ainsi buter contre une administration publique carrément sclérosée, hantée par les vieux réflexes du temps révolu. Mal parti, juge l'Inai, à qui revient la responsabilité du suivi et du contrôle d'accessibilité à tout document demandé. Son président, M. Imed Hazgui, élu il y a huit mois, a justifié un tel bilan peu reluisant par le fait de ne pas encore s'habituer à s'informer et d'aller jusqu'au bout dans la quête des données à caractère public. Mais aussi par la récente naissance de son instance qui a du mal à subvenir à ses besoins en moyens matériels et humains. Le staff des compétences auquel elle fait appel pour la gestion des requêtes des plaignants n'a pas encore pris ses fonctions. Pourtant, recense-t-il, une cinquantaine de recours lui sont, jusqu'ici, parvenus, depuis janvier dernier, date de démarrage effectif de l'Inai. Son conseil, déclare-t-il, statuera, aujourd'hui, sur le fond et la forme des plaintes déposées par des ayants-droit à l'information. Imed Hazgui souligne également que le gouvernement doit adopter les textes réglementaires nécessaires, accroître les capacités des structures compétentes, y compris l'Instance nationale d'accès à l'information, et engager les structures publiques rattachées au gouvernement à favoriser l'accès à l'open data. Difficultés d'accès Toutefois, il y a toujours ambiguïté autour de ce droit. Voire une nuance dans la tête du citoyen, d'après Chawki Gueddès, professeur en Droit constitutionnel et président de l'Instance nationale de protection des données personnelles (Inpdp). Selon lui, le citoyen n'est pas conscient de ce qu'il demande précisément. Car, entre information d'ordre public et donnée strictement privée, il faut bien faire la part des choses. Du reste, toute donnée est une information en soi. Une question de culture, à vrai dire. « On ne connaît malheureusement pas ses droits.. », réplique-t-il. Dans ce sens, il voit dans la création de deux mécanismes liés au même sujet, à savoir Inai et Inpdp, un vrai double emploi. Il suggère de les fusionner en une seule instance, à même de reléguer toute prérogative à celle de la protection des données personnelles, la première à être lancée en 2008. D'ailleurs, c'est ce que j'ai demandé depuis 2015, comme c'est le cas en Allemagne, au Canada et en Australie. « On a, d'ailleurs, proposé un conseil mixte pour les deux, mais ça n'a pas marché », relève-t-il encore. Un point qui est aussi mis en avant dans le projet de loi en cours remplaçant l'Inpdp, conclut-il. Par ailleurs, selon Gaddès, certaines dispositions de la loi organique relative au droit d'accès à l'information ne sont ni respectées ni appliquées, tel l'article 60 qui contraint les organismes publics de réaliser un site web officiel et publier les guides (septième tiret de l'article 38) dans un délai de six (6) mois à compter de la date de publication de la loi. Il s'agit aussi de finaliser l'organisation des archives dans un délai ne dépassant pas une année au maximum, à compter de la date de publication de la présente loi. Pour M. Nawfel Jemmali, président de la commission des droits et libertés au sein de l'ARP, il est question de tout revoir avec l'exécutif en ce qui concerne le blocage dans l'accès à l'information. Et dire qu'il y a intérêt à rectifier le tir. A l'en croire, le bilan n'est pas aussi encourageant. La mise en application de la loi n'a pas pris son élan, et ce, pour plusieurs raisons : «La publication spontanée d'informations n'a pas été d'une manière systématique, la non-classification des documents administratifs et bien d'autres facteurs pesant sur le rythme d'avancement de la loi », énumère-t-il, indiquant que l'ARP continuera son rôle de veille sur le respect de la mise en œuvre de ladite loi. Dans ce sens, il a demandé au pouvoir exécutif des explications sur ces difficultés d'accès à ce droit, tout en soulignant le rôle important de la société civile dans le suivi du mode de réglementation et d'application des lois par le pouvoir exécutif. Lois de façade La consécration effective de la loi n'est qu'une question de temps, répond Mme Olfa Souli, directrice de la Réforme administrative à la présidence du gouvernement. « Il faut qu'il y ait autant de mécanismes exécutifs et de procédures d'accompagnement. Un guide simplifié de vulgarisation verra bientôt le jour », annonce-t-elle. D'ici fin avril prochain, il y aura également une circulaire expliquant les dispositions de la loi organique 22-2016 relative à l'accès à l'information. Par ailleurs, l'Inai s'apprête à lancer son portail, dans les semaines à venir, adopter son statut et mettre en place son propre organigramme. Du côté de M. Néji Bghouri, président du Snjt, le tableau semble tout noir. A ses dires, la création des lois en Tunisie est soumise à un agenda extérieur, la volonté politique de leur application n'existe presque pas. De même, la publication des documents n'est pas aussi spontanée, ce qui bloque leur accès. « On a des lois de façade qui sont faites pour ne pas être utilisées. Des lois encore figées qui laissent les portes closes devant tout demandeur d'information», conclut-il.