La publication des informations n'est pas un travail communicationnel mais un travail de publication, c'est le principe qui doit gouverner cette opération et qui est posé comme un principe fondamental par les défenseurs acharnés de ce droit d'accès à l'information instauré par le décret-loi n 2011-41 du 26 mai 2011 réunis récemment dans le cadre d'un colloque organisé par l'Article 19 et parmi lesquels le professeur Chawki Gaddess qui expose sa lecture de ce texte de loi. Cette philosophie, précise-t-il, découle de la volonté de faire éviter que les détenteurs de ces données ne procèdent par sélection en n'en livrant que celles qu'elles jugent nécessaires et d'en occulter les autres. Sanction du refus Le principe défendu écarte une telle dérive et attribue cette autorité d'appréciation aux seuls demandeurs des documents, ce qui veut dire que l'administration est tenue de mettre à leur disposition, spontanément, toutes les informations dont elles disposent et c'est à ces derniers de décider d'en choisir librement sans intervention aucune de ces autorités sous peine de sanction comme le dit bien Mohamed Abbou le 26 mars 2012 alors ministre de la Fonction publique : « Tout fonctionnaire qui refusera de délivrer un document administratif s'exposera à des sanctions ». En fait, cette opération d'accès à l'information est régie par six règles : publication sur le site web de l'organisme, détermination des informations qu'il faut publier, facilité d'accès à l'information, informations devant être mises à jour, publication de la liste de documents disponibles, présentation des conditions et des procédures de demande d'information. De plus, le Chapitre 4 du décret établit onze types d'informations que l'organisme public est dans l'obligation de divulguer se rapportant, notamment, à sa structure, ses fonctions et ses politiques, les décisions et les politiques qui concernent le public, les procédures, une liste nominative de ses agents parmi lesquels ceux chargés de l'information et des données autour des programmes du gouvernement y compris les indices de rendement et les résultats des appels d'offres publics importants. Le chapitre suivant est encore plus explicite à ce propos, puisqu'il exige de l'organisme public compétent de publier régulièrement tout ce qui concerne les activités économiques et sociales du gouvernement, particulièrement, les comptes nationaux, toute information sur les finances publiques y compris celles sur la dette publique et toutes celles se rapportant aux services et programmes sociaux. Le demandeur du document dispose d'un délai maximum de 70 jours pour y accéder, passé ce délai et en cas de refus motivé par l'instance concernée, il a la possibilité de saisir le tribunal administratif pour abus de pouvoir. Mais le premier ministère est en train de créer une instance intermédiaire entre l'administration et ce tribunal et qui veillera à l'application du décret-loi 41 dans le but de décharger cette juridiction unique. Donc, ce décret-loi apporte un changement fondamental au niveau de la gestion et du partage des informations, ce qui inaugure une nouvelle ère dans les rapports citoyens/gouvernement qui sont, dorénavant, basés sur un mode de gouvernance ouvert et transparent. En fait, ce droit d'accès à l'information était coupé comme le rameau d'un arbre par l'ancien régime dictatorial, car, d'une part, il est reconnu comme droit fondamental des droits de l'homme par les Nations Unies et que, d'autre part, la Tunisie a ratifié le pacte international relatif aux droits civiques et politiques en 1969. Imperfections Le professeur Chawki Gaddess fait savoir que ce droit d'accès à l'information n'est pas établi en Tunisie sur une initiative interne mais sur la demande de la Banque Mondiale et que sa réforme également sera faite sur une demande externe. Les imperfections du système en place sont nombreuses à commencer par l'imprécision au niveau de la définition des structures publiques concernées par cette mesure légale. Les spécialistes suggèrent de s'inspirer de la loi française en la matière en se référant au décret Harris de 1978 qui élargit le champ d'application de la notion structures publiques à toutes les personnalités physiques et morales assumant des responsabilités ou des fonctions publiques ou gérant un service public. Une telle acception exhaustive aura le mérite de dissiper l'amalgame et d'intégrer des établissements tels que Tunis Air, par exemple, dans le giron des structures publiques auxquelles ils échappent pour le moment en raison justement de cette définition imprécise du décret 41. Dans un colloque organisé, il y a un mois, le juge administratif, Adel Hazgui, est allé encore plus loin en parlant de la nécessité d'y intégrer d'autres intervenants tels que les organisations professionnelles, les mutuelles et les associations sportives qui produisent, dans le cadre de leurs fonctions, des documents ayant un rapport direct avec l'intérêt général. Une suggestion qui est d'autant plus plausible que les dirigeants de certains clubs sportifs profitent de cette liberté pour dissimuler les traces de leurs actes de corruption et de malversation, puisqu'ils en sont les seuls détenteurs. L'autre imperfection est relative à l'insuffisance des moyens technologiques mis en place pour permettre au public l'accès aux informations souhaitées, puisqu'il n'existe que 575 000 liens ADSL pour seulement 4,5 millions d'habitants. Le juriste se demande pourquoi ne pas imposer l'utilisation des réseaux sociaux d'autant plus que, pour l'année en cours, il y a 3,4 millions comptes facebook, ce qui représente 77% des liens. Il se demande aussi pourquoi ne pas utiliser le portable, un moyen beaucoup plus commode et où l'on compte 13 millions lignes téléphoniques qui donnent le pourcentage très élevé de 123% des habitants. Ces imperfections sont aggravées davantage par l'inexécution de l'une des conditions majeures du décret-loi 41 et qui est la mise en place d'un site web par ces structures publiques d'une manière spontanée et dans un délai de deux ans qui a commencé à courir à partir de la date de son entrée en vigueur au mois de mai 2011. Cette difficulté provient, principalement, du fait que, jusqu'au jour d'aujourd'hui, on n'a réussi à mettre à jour que les listes de seulement 1/100 des 2000 structures publiques concernées par le décret. Rôle du juge Il est évident que ce droit d'accès établit des rapports de confiance entre les citoyens et le gouvernement et constitue l'un des procédés de la démocratie participative, étant donné que les premiers ne sont plus marginalisés mais impliqués à part entière dans la gestion de la chose publique grâce à ce pouvoir de contrôle dont ils disposent par le biais du droit d'accès à l'information. Cette vigilance permet, entre autres, de mettre fin aux dettes odieuses. « Le contenu de ce décret est révolutionnaire pour l'administration tunisienne », conclut le professeur Gaddess qui se demande, toutefois, et encore une fois, pourquoi ne pas mettre en place une instance spécialisée pour veiller à la réalisation des principes du décret. A défaut, le juge reste le garant de leur respect, mais cela est-il possible en l'absence d'une justice indépendante ?