Volupté, raffinement et géniale inspiration Il descend de l'émigration andalouse. Sa famille appartient à la confrérie des artisans de la chéchia, ce torbouche typiquement tunisien. Abderrazak Ben Béchir Ben Tahar Karabaka, le doyen de Jamaât taht essour né en 1901, a fréquenté à partir de 1907 l'école Ahlia coranique. Un an plus tard, son père décéda. Cette perte va le marquer profondément, puisqu'il était encore un tout petit garçon. En 1911, il intègre l'école Al Irfanïa, où il aura pour enseignant Cheikh Mohamed Mnachou. Celui-ci lui donnera la passion des lettres et de la poésie, et contribuera à son épanouissement littéraire. En 1917, Karabaka suivra les études secondaires à la mosquée Zeïtouna, faisant preuve d'un éveil scientifique et d'une précocité intellectuelle étonnante pour son âge. Cela lui permettra de parvenir très vite à la dernière partie de l'examen Ettatouï. Malheureusement, il n'alla pas jusqu'au bout de ses études qu'il interrompit, en 1921. A partir de cette date, il brassa tous les aspects de la vie littéraire, artistique, sociale, administrative, économique et syndicale. Ainsi passa-t-il un quart de siècle à exercer au sein des œuvres publiques, rencontrant le respect et la sympathie de tout son entourage. A l'annonce de la nouvelle de sa mort subite, le 15 mars 1945, tous les milieux artistiques, littéraires et sociaux furent comme foudroyés. Karabaka était, en effet, en bonne santé et n'avait que 44 ans. Personne ne pouvait imaginer qu'un tel bon vivant, voire noceur, quitterait de sitôt ce bas monde. Mais telle était la volonté divine. La marque andalouse Le leader de «Jamaât taht essour» a vécu un interminable célibat où seuls le plaisir et le libertinage avaient cours. Il a aimé plusieurs femmes appartenant aux milieux de la musique et du théâtre. Sans vraiment aller jusqu'au bout avec une d'entre elles. Karabaka aura finalement assouvi sa soif de vivre et sa fureur de plaisir. Ses moyens lui ont permis de fréquenter des bohémiens comme «Jamaât taht essour», tout en bénéficiant d'une existence aisée, sinon dorée. Et c'est comme si les gènes de son héritage andalou lui ont naturellement transmis cette douceur, ce raffinement et cette quête permanente de la volupté. En effet, ses arrière-grands-parents ont entretenu des liens poussés avec le palais d'Al Abbadi, à Séville. Ils étaient tombés en disgrâce après l'épreuve endurée par El Moâtamad Ibnou Abbad et son éviction par Youssef Ibnou Tachfine. Karabaka n'est autre en effet qu'une légère déformation du nom d'un fort situé au nord de Murcie et donnant en même temps son nom à un fleuve et à une petite ville. Au quatrième siècle de l'Hégire, les aïeux de notre grand poète, de la famille de Moôtamad Ibnou Abbad, d'où l'appellation «Karabaka El Abbadi Chérif», passaient une existence paisible dans la ville de Karabaka. Et c'est au dixième siècle de l'Hégire, au moment du grand exode des Arabes d'Andalousie vers l'Afrique du Nord, que cette famille vint s'installer en Tunisie. Elle pratiquait la confection de la chéchia. Douagi : «Mort comme il le souhaitait» Le grand ami de Abderrazak Karabaka et son compagnon de route qu'était Douagi se souviendra de l'auteur de «Ki bghiti ettir ya hmama» (puisque tu préfères voler, ô pigeon!) — composée et chantée par Hédi Jouini — en écrivant ceci à sa disparition : — «La mort de Karabaka a respecté son envie. Il a toujours aimé vivre et mourir entre une belle femme, un verre de “boukha” et un poème qu'il n'aurait pas achevé. La nuit de sa mort, lui le coureur de jupons, et Casanova invétéré, il était entre deux femmes (car il est nécessaire que la mort soit une femme) et c'est ce qu'il avait toujours souhaité. Quant à moi, j'ai une grande peine après sa perte, car je crois que je ne m'étais pas suffisamment repu de lui».