A l'occasion de la clôture du cycle consacré au cinéma italien contemporain intitulé «Fare cinema» (faire du cinéma) qui s'est déroulé du 19 au 22 juin, à la Cinémathèque, une table ronde, ayant réuni de nombreux professionnels tunisiens et italiens, s'est tenue, vendredi dernier, autour de la convention sur le fonds bilatéral d'aide au développement de la coproduction d'œuvres cinématographiques tuniso-italienne. Cette convention a été signée le 11 mai 2018 lors du dernier Festival de Cannes entre le Cnci (Centre national du cinéma et de l'image) représenté en la personne de Chiraz Laâtiri et la direction générale du cinéma du ministère des Biens et Activités culturels italien représenté en la personne de son directeur général Nicola Borelli. Cette convention, qui a été validée par le ministère tunisien des Affaires culturelles, en attendant sa validation prochaine du côté italien, permettra de financer des projets de films tunisiens et italiens en amont, c'est-à-dire à la phase de l'écriture et du développement du scénario. L'objectif de ce fonds est de soutenir le codéveloppement et indirectement la coproduction de projets d'œuvres cinématographiques susceptibles de répondre aux attentes des publics des deux pays. La directrice générale du Cnci a indiqué que «l'enveloppe annuelle totale de ce fonds s'élève à environ 280.000 euros (850.000 dinars). La partie italienne contribuant à hauteur de 180.000 euros (550.000 dinars), le reste, soit 100.000 euros, étant versé par la partie tunisienne. Les subventions du fonds sont attribués par «la commission tuniso-italienne d'aide au développement», composée de 6 membres. Chaque partie est responsable annuellement de la nomination de 3 membres de la commission, ainsi que trois suppléants. Présentant ce fonds, la directrice générale du Cnci a affirmé que face à la difficulté d'augmenter le budget de l'aide nationale à la production cinématographique, elle s'est attelée à la recherche d'autres niches de financement afin de booster la dynamique de production de films en Tunisie. Et d'ajouter : «Outre le futur Fonds de coproduction avec le CCM (Centre du cinéma marocain) prévu en 2019, j'ai monté de petits fonds de codéveloppement avec les pays du Sud. Nous allons, par exemple, créer un fonds de codéveloppement avec six pays africains». Et de conclure que «cet accord a été mis sur de bons rails et permettra le financement de 6 à 8 projets tunisiens et italiens». Tout en précisant «que l'appel à candidature pour ce fonds aura lieu lors des prochaines JCC». Chiraz Laâtiri a également annoncé la mise en place de la billetterie unique en juillet 2018. De son côté, Maria Vittoria Longhi, directrice de l'Institut culturel italien de Tunis, n'a pas caché sa satisfaction quant à cet accord en notant «qu'il est nécessaire d'œuvrer ensemble afin de développer la coopération tuniso-italienne et d'entreprendre quelque chose de concret dans le domaine du 7e art et du Fare cinéma». Hichem Ben Ammar, directeur artistique de la cinémathèque, a ouvert le débat en rappelant que le 22 juin est une date anniversaire pour la cinémathèque puisqu'elle fête, ainsi, son 1er trimestre d'activité, ayant ouvert ses portes le 22 mars 2018, avec un hommage à la star internationale Claudia Cardinale et néanmoins «Bent El Bled» (la fille du pays) en programmant un cycle des plus grands films où elle a joué, outre une exposition de photos et d'affiches de films qui s'achève, ainsi, avec la clôture de «Fare cinema». Hichem Ben Ammar a évoqué les réalisations de la Cinémathèque lors de ce trimestre d'activités sur lesquelles nous reviendrons dans un prochain article. Un fonds modique? Au cours du débat, les professionnels du cinéma italien et les décideurs italiens présents ont exprimé la nécessité de consolider cette synergie et de maintenir la flamme naissante de cette coopération entre les deux pays. L'acteur Fabricio Gifuni a invité tous les producteurs, réalisateurs et acteurs présents à «faire preuve de responsabilité en réfléchissant à la manière de s'exprimer par le cinéma entre récit, narration et poésie, notamment dans les moments d'urgence tel celui qu'on traverse actuellement des deux côtés de la Méditerranée, surtout que les médias européens usent de mystification et de manipulation pour nous faire peur. Or, on ne peut les combattre qu'avec, comme l'a si bien dit P. Paolo Pasolini, les armes de la poésie», loin de ce populisme qui a envahi tous les espaces. Il faudrait, donc, réfléchir au cinéma que nous voulons faire, aux images que nous voulons produire et au regard que nous voulons poser sur nos sociétés et sur nos pays, au moment où l'image semble avoir perdu de sa force». Et d'ajouter : «Nous sommes bombardés par un flot ininterropu d'images. Or, il faudrait savoir, une fois que nous avons trouvé l'argent pour produire nos films comment le gérer, car, si cet argent servira à tourner des films qui ne sont pas nécessaires, ce serait de l'argent perdu». De leur côté, les professionnels tunisiens ont pour la plupart observé dans leur intervention qu'une relation existe, déjà, entre le cinéma italien et tunisien depuis les années 50 et 60, d'abord comme l'a affirmé le producteur et réalisateur Abdellatif Ben Ammar «grâce à la cinéphilie à travers la vision des chefs-d'œuvre du cinéma italien et ensuite grâce aux rapports humains sur les plateaux des films italiens tournés en Tunisie et sur lesquels un grand nombre de techniciens tunisiens ont été formés mais grâce aussi à la formation de Tunisiens dans les écoles de cinéma en Italie». Mais les professionnels tunisiens ont regretté l'absence de coproductions tuniso-italiennes, si l'on excepte les prestations de services et les productions exécutives sur des films italiens tournés sous nos cieux. Et de noter qu'une seule coproduction tuniso-italienne a été réalisée en 1987 : «L'Amico Arabo» (L'ami arabe). Le producteur Lotfi Laâyouni a, lui, déploré «l'arrêt de la distribution de films italiens dans nos murs» tout en ajoutant «qu'il n'y a jamais eu de films tunisiens distribués en Italie et qu'actuellement, c'est de l'ordre de l'impossible en l'absence de structures d'incitation comme en France, pour la coproduction cinématographique». Et de conclure : «Il faudrait créer une plateforme d'échanges avec l'Italie qui pourrait aboutir à des lois et à des accords». Pourtant, selon Adel Bekri, acteur et réalisateur, «il existe bel et bien un accord de coproduction datant de 1988 et ratifié en 1994, mais qui n'a jamais été appliqué». A preuve, a-t-il ajouté, «c'est après 16 ans de combat que j'ai, enfin, pu trouver un coproducteur italien pour réaliser mon film. Et ce parcours du combattant, je l'ai entrepris seul avec des amis italiens». Maintenant, concernant le fonds bilatéral tuniso-italien d'aide au développement pour la coproduction de films, tel qu'en lui-même, les professionnels tunisiens ont émis quelques appréhensions jugeant que cette enveloppe de 280.000 euros «est pour le moins, modique». Habib Mestiri, réalisateur et producteur, a estimé que «cette convention permettra d'échanger des idées et qu'il s'agit là d'un moment clé pour casser l'hégémonie de la France qui, à travers quelques fonds et autres coproductions, a formaté le cinéma tunisien. Varier les sources de financement s'avère, ainsi, important d'autant que nous avons, Tunisiens et Italiens, bien des choses communes à travers notre histoire et nos vécus». En évaluant le budget proposé par cette convention, il a considéré «qu'il s'agit là d'une somme minimale, exprimant sa crainte que l'on tombe dans le misérabilisme quand on sait qu'un film italien coûte 2 millions d'euros». De son côté, Abdellatif Ben Ammar a exprimé sa crainte de voir «ce petit fonds rester lettre morte en l'absence de critères clairs et précis pour mettre en pratique cette convention», tout en se demandant «qui jugera les projets de films». Ce à quoi, Ginella Vocca, responsable à la direction générale italienne du cinéma et directrice du «Medfilm festival de Rome» a répondu «qu'un comité de sélection et de régulation est prévu et que des critères seront définis». Et d'ajouter concernant cette convention : «Nous avons besoin de vous et de liens avec la Tunisie, surtout au moment où nous avons un grand problème de changement politique, nous avons besoin de partager des activités normales avec les Tunisiens, comme celle consistant à faire du cinéma», concluant «qu'il s'agit en ce moment d'une question de nécessité historique et culturelle».