Le rapport de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe) aura eu le mérite de revenir sur une question qui reste depuis des années en suspens en Tunisie : la peine capitale Le 8 août, le président de la République, Béji Caied Essebsi, recevait une lettre signée par la Coalition tunisienne contre la peine de mort (Ctcpm) et l'ONG Ensemble contre la peine de mort (Ecpm). Les deux organisations y apportent leur soutien au rapport de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe), présidée par la députée féministe Bochra Belhaj Hmida, qui préconise, entre autres, l'abolition de la peine de mort, dans le sillage d'une «dynamique globale vers l'abolition de la peine capitale», notent les deux ONG. Plus précisément, le rapport inclut deux options : «Soit l'abolition de la peine capitale pour tous les crimes afin que la Tunisie se conforme tant à ses engagements internationaux que vis-à-vis l'Assemblée générale de l'ONU», soit, a minima, la réduction du champ d'application de la peine de mort. La Commission se fonde sur l'article 22 de la Constitution tunisienne pour « limiter l'application de la peine de mort aux crimes les plus graves ». 77 condamnés à mort se trouvent actuellement en détention Le rapport de 233 pages, publié le 12 juin 2018, continue à nourrir diverses polémiques, notamment en matière d'égalité successorale qu'il recommande vivement, contre l'avis des islamo-conservateurs. Et si le débat aujourd'hui déclenché par la Commission des libertés individuelles et de l'égalité se focalise surtout sur ce point, l'équipe présidée par Bochra Belhaj Hmida a eu le mérite de revenir sur une question qui reste depuis des années en suspens en Tunisie : la peine capitale. Certes, la Tunisie n'a pas procédé à des exécutions depuis 1991, le pays ayant dès cette époque observé un moratoire sur cette peine. Mais le 24 juillet 2015, le Parlement approuve une nouvelle «loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent» qui augmente le champ d'application de cette sanction extrême, en la prévoyant pour des crimes liés au terrorisme. D'autre part la nouvelle Constitution tunisienne maintient la peine capitale. Ainsi, l'article 21 dispose que «le droit à la vie est sacré» et qu'il ne pourra y être porté atteinte que dans des cas extrêmes définis par la loi. Un amendement proposant l'abolition de la peine capitale avait au préalable été rejeté par 102 voix contre 50 et 15 abstentions. De leur côté, les magistrats continuent de prononcer des condamnations à mort. Ainsi, selon les chiffres de la Coalition tunisienne contre la peine de mort, 11 personnes en 2017 et 44 personnes en 2016 ont été condamnées à la peine capitale. Plus de 77 condamnés à mort se trouvent actuellement en détention. Des condamnés provenant de territoires de l'exclusion et de la misère Pourtant la Tunisie, qui connaît une transition démocratique depuis la Révolution du 14 janvier avait au début donné quelques espoirs aux militants contre la peine capitale, d'autant plus qu'un président de la République abolitionniste, Moncef Marzouki, s'était installé au palais de Carthage de décembre 2011 à décembre 2014. Autre fait positif : depuis 2012, le pays vote de manière régulière en faveur de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en faveur d'un moratoire universel sur l'application de la peine de mort. Résultat : ces condamnés bénéficient depuis mars 2011 d'un assouplissement de leurs conditions d'incarcération comme le relève Chokri Latif, le président de la Coalition tunisienne contre la peine de mort : «Leur situation s'est quelque peu améliorée. Ils ont désormais le droit de recevoir des visites et ne sont plus isolés dans le couloir de la mort mais se mélangent aux autres détenus. Cela dit, certains prisonniers sont encore dans des situations calamiteuses, subissent l'isolement, des pressions psychologiques et des tortures». Dans une enquête initiée par Ensemble contre la peine de mort (Ecpm) en 2012 et dont les résultats ont été publiés dans un ouvrage collectif intitulé : «Le syndrome de Siliana : pourquoi faut-il abolir la peine de mort en Tunisie ?» (Editions Cérès 2013), les auteurs avaient fait plusieurs constats. Le plus important démontre que la population de condamnés à mort présente une forte homogénéité : elle est originaire de la région enclavée, miséreuse et marginalisée de Siliana, dans le nord ouest du pays. Quand l'actualité aiguise les opinions Quelques semaines après la sortie du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité, un crime crapuleux bouleversait l'opinion publique et remettait la question de la peine de mort au centre des débats. A Goubelatt, cinq individus violent une fille, sa mère et sa grand-mère. Les agresseurs, motivés par une intention de régler des comptes, ont fait irruption dans une petite maison dans les environs de Béja et violent les trois occupantes, une fille de 15 ans qu'ils enlèvent ensuite, sa mère, et sa grand-mère. L'octogénaire décède. Retrouvée trois jours plus tard dans un état critique, l'adolescente a été violée à de multiples reprises durant sa détention. Les agresseurs, parmi lesquels figure un policier, ont tous été arrêtés. Dans un post Facebook, l'islamologue Olfa Youssef appelle les autorités à torturer les agresseurs jusqu'à ce que mort s'en suive. Elle n'est pas la seule à préconiser la peine capitale aux violeurs de Goubelatt. Mais pour d'autres, notamment les militants des droits humains, la peine de mort ne résout rien des maux sociaux, entretient le sentiment victimaire chez les présumés coupables et ne dissuade aucun criminel de commettre son forfait. Les terroristes ne se prévalent-ils pas de leur mort en « martyrs » ? Comme pour le sujet de l'héritage resté longtemps tabou, la Colibe aura eu le mérite de ressusciter une question couverte par les rancœurs, les archaïsmes et la loi du talion, qui gagnerait beaucoup à être revisitée et analysée sous l'angle de l'humanisme.