Par Jalel Mestiri Il n'y a pas de football prompt. Mais est-ce une raison pour oublier le passé comme s'il n'avait jamais existé ? Evoquer le nom de Khaled Ben Yahia en cette période très délicate de l'histoire de l'Espérance, c'est surtout parler d'une longue histoire d'amour. Le passé comme l'immédiat, ça résonne toujours comme des petits mots doux à l'oreille. Ben Yahia et l'Espérance ne font qu'un. Point de coup de canif dans le contrat de mariage. La passion est trop forte, l'enracinement trop tenace. L'EST l'a vu naître, grandir et le verra sans doute vieillir. Le football est un formidable exhausteur de sensations. La passion déraisonnée et déraisonnable. Un attachement qui fait autant de bien que de mal. Souffrir des mauvais résultats, des sorties de route, des humiliations, mais aussi —et surtout— tomber dans l'ivresse des victoires, des trophées inattendus, des épopées mythiques et des célébrations affectueuses. En dépit de tout cela, Ben Yahia risque aujourd'hui d'être privé de l'espoir de pouvoir conduire son équipe en finale de la Ligue des champions. Et éventuellement à la consécration finale de cette plus prestigieuse épreuve africaine. Au cas où cela se confirme, ça sera un «beau» remerciement. C'est certainement cela qu'on doit appeler l'ingratitude. Tout ce qu'il y a de plus détestable dans le foot. Chez l'être humain aussi. Les bras sont grands ouverts lorsque tout va bien, mais les dos se tournent dès lors que les résultats ne suivent plus. La fidélité ? La loyauté ? La reconnaissance ? Autant de valeurs de plus en plus rares dans le football d'aujourd'hui. Tout est malheureusement une question extra-sportive. L'Espérance a existé avant Khaled Ben Yahia et elle existera après lui. Mais personne n'a et n'aura accompli sa tâche, aussi bien comme joueur qu'entraîneur, avec autant de dignité que lui. Personne n'aura jamais fait autant de sacrifices pour vivre son rêve que lui. Personne d'autre que lui n'aura d'ailleurs vécu sa vie comme on vit un rêve. L'icône espérantiste donne aujourd'hui l'impression de livrer sa dernière bataille. Sonnera peut être ensuite l'heure du passage de témoin. Mais l'EST aura-t-elle vraiment tout le temps de penser à l'après-Ben Yahia ? L'équipe risque de perdre, en l'espace de quelques secondes, tout ce qu'il a construit depuis qu'il est revenu au Parc. Pas un titre ou des trophées non, mais de l'amour, de l'admiration et du respect. Après tout ce qu'il a accompli pour l'EST, limoger Ben Yahia maintenant serait impardonnable. Terriblement triste et absolument incompréhensible. Mais le football n'est pas juste. La vie est injuste. Ce licenciement, au cas où il se confirmerait, montrera encore une fois à quel point le monde du football peut être cruel, dépourvu d'émotion et seulement dicté par des enjeux de résultats. Au final, le foot, ça ne fait plus trop rêver. Aussi soucieux qu'il puisse l'être de préserver son nom, Ben Yahia s'est opposé au spectacle médiatique créé par des gens qui cherchent à faire leur promotion à ses dépens. Il ne sert à rien de parler d'autorité quand on n'est pas soi-même irréprochable. Avoir une haute idée du football signifie que ceux qui briguent la confiance du public «sang et or» doivent en être dignes. Ceux qui ne respectent pas les valeurs sur lesquelles s'est construit, et se construit encore, le club ne devraient pas pouvoir donner des leçons. Qui imagine un seul instant Ben Yahia «mis en examen»?