Aux abonnés absents, le chargé du contentieux de l'Etat a décliné les offres d'arbitrage en matière de crimes financiers dont l'Etat est victime. Pourtant, comme l'affirme l'IVD, l'Instance a récupéré 745 millions de dinars tunisiens au profit des caisses de l'Etat. Bilan mitigé des travaux de la Commission arbitrage et conciliation « L'Instance vérité et dignité a récupéré 745 millions de dinars tunisiens au profit des caisses de l'Etat grâce au dispositif d'arbitrage et de conciliation. Nous aurions pu mieux faire si l'Etat n'avait pas accusé une fin de non-recevoir par rapport au déroulement du travail de ce mécanisme », a déclaré la semaine passée — quelques jours après la fin du mandat de l'Instance — Khaled Krichi, président de la Commission arbitrage et Conciliation à l'IVD et vice-président de la commission vérité sur plusieurs plateaux de radio et de télévision. Il avait auparavant, pendant le colloque de clôture de l'IVD, les 14 et 15 décembre dernier, présenté les résultats des quatre années et demie de travail de sa commission. Regrets et amertume ont filtré alors à travers sa voix : « Nous avons été parasités par le projet de loi sur la réconciliation économique et financière et la promesse des autorités aux hommes d'affaires et hauts cadres soupçonnés de corruption et de malversations de leur faire obtenir des certificats d'amnistie après la promulgation de ladite loi ». 21.177 demandes concernent les droits de l'Homme Le constat d'échec ne se limite pas au volet financier, mais également à l'arbitrage et à la conciliation en matière de droits humains. Une autre prérogative de la commission dirigée par M. Krichi. « Une particularité de la loi tunisienne. Aucune expérience comparée n'a inclus les violations des droits de l'Homme dans le principe de l'arbitrage et la conciliation », fait-il remarquer. Les chiffres sont évocateurs. Sur les 25.998 demandes d'arbitrage et de conciliation, 21.177 concernent les droits de l'Homme : viols, violences sexuelles, torture, détention arbitraire, privation de source de revenu…et 4.821 se rapportent aux crimes financiers. Or le ministère de l'Intérieur s'est opposé à toute possible séance de réconciliation entre ses agents et présumés tortionnaires et des victimes, qui ne revendiquaient que leur droit à savoir pourquoi elles ont subi de telles exactions. Leur désir semblait pourtant simple à satisfaire : des aveux et une reconnaissance des faits contre un pardon sincère et en fin de processus, l'abandon des poursuites judiciaires, tel que préconisé par la loi relative à la justice transitionnelle. « Les facultés de résilience, de tolérance et d'indulgence des rescapés des violences d'Etat n'ont malheureusement rencontré que déni, arrogance et silence de la part des bourreaux. Le ministère de l'Intérieur a refusé de collaborer avec nous tant au niveau de l'arbitrage que de l'investigation en matière d'exactions», se désole Khaled Krichi. Il ajoute en évoquant, sans le nommer, le cas d'Ahmed Friaa, ancien ministre de l'Intérieur de Ben Ali, qui est passé il y a quelques semaines sur plusieurs plateaux télévisés pour dénoncer son interdiction de voyager à cause de ses absences répétées aux audiences des chambres spécialisées dans les affaires des martyrs de la Révolution. « Ils remplissent le monde de bruit et de fureur. Alors qu'il aurait fallu tout simplement qu'ils viennent à la rencontre des victimes ». D'autre part, sur les 4.821 demandes d'arbitrage se rapportant à la corruption financière, vingt proviennent de barons des affaires proches du clan Ben Ali, l'ancien président de la République. Selon le commissaire Khaled Krichi, jusqu'au 15 décembre 2018, 13 conventions d'arbitrage ont été signées avec ces personnes apparentées au premier cercle du pouvoir et seules deux décisions d'arbitrage ont été publiées. Plus grave encore, 685 dossiers ont été présentés par l'Etat en tant que sujet de préjudices financiers. Dans le premier cas de figure comme dans le second, une situation de blocage a été enregistrée dans les éventuelles négociations entre les parties objet d'arbitrage, que Krichi rapporte au strict refus de collaboration du chargé du contentieux de l'Etat. L'Etat étant considéré ici comme la victime principale de détournement de deniers publics. « D'où notre recommandation dans le rapport final de l'Instance que le chargé du contentieux de l'Etat émane désormais d'une structure indépendante pour que les intérêts des autorités publiques ne soient pas soumis à des pressions et à des enjeux politiques », préconise Khaled Krichi. Ratée, l'opportunité de régler pacifiquement les litiges Si on connaît les noms de quelques-uns des demandeurs d'arbitrage proches de Ben Ali, tels Slim Chiboub, gendre de l'ex-président, Slim Zarrouk, son gendre également, Imed Trabelsi, Sassi Bouthouri, Lazhar Sta, Lobna Touil, l'IVD ne donne pas de détails sur les montants qu'elle a définis pour chacun d'eux en l'absence d'une proposition du chargé du contentieux de l'Etat. On ne sait pas non plus ce qui provient des biens confisqués par l'Etat, de ces pontes du business (la procédure a été instituée depuis janvier 2011) et ce qui découle de leurs carnets de chèques. Dans un statut publié, le 1er janvier 2019 sur sa page Facebook, l'ancien ministre des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières, Mabrouk Korchid, a assuré que le montant de 745 millions de dinars que l'IVD « a prétendu restituer » dans le cadre de l'arbitrage et de la conciliation est « fictif attendant l'exécution qui durera de longues années ». Sihem Ben Sedrine répond à sa déclaration quelques jours plus tard sur Shems FM : « On ne tire pas sur une ambulance ! », en référence à sa perte récente du statut de ministre. Même si Mabrouk Korchid a quitté le gouvernement et que l'IVD a achevé ses missions le 31 décembre 2018, la guerre qui les a opposés des années durant semble continuer à coups de déclarations publiques. L'opportunité de réhabiliter les victimes, de dévoiler la vérité, de réformer les institutions et de rendre l'argent détourné pendant la dictature qu'aurait offerte ce mécanisme de médiation pacifique si les diverses parties y avaient adhéré est d'un autre côté ratée. « Tous ceux qui sont en train de recourir à la commission de conciliation mise en place par la loi relative à la réconciliation administrative ne peuvent pour autant éviter la justice. Nous avons transmis plusieurs dossiers concernant la corruption financière aux chambres spécialisées. Ils devront rendre compte de leurs actes », ajoute Khaled Krichi.