L'Agence nationale de promotion de la recherche scientifique (Anpr) a organisé, les 7 et 8 mars 2019, au siège de l'Institut arabe des chefs d'entreprise à Tunis, la 4e édition des Journées nationales sur la recherche et l'innovation. Cette édition a été consacrée à l'incitation des différents intervenants dans le domaine de la recherche et de l'innovation, mais aussi dans les domaines à vocation socioéconomique à aller «vers une meilleure intégration de la recherche scientifique dans son milieu socioéconomique». Placé sous le haut patronage du ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, l'événement s'inscrit dans le cadre de la célébration du dixième anniversaire de l'Agence. Il constitue, ainsi, —et outre sa finalité de propulser les efforts vers une meilleure cohésion entre l'innovation et le monde économique— une occasion pour s'arrêter sur le parcours franchi, jusque-là, par l'Anpr mais aussi pour déceler les grandes lignes d'une vision prospective de ce domaine de pointe, que l'on veut en parfaite harmonie avec les exigences du marché national et international et au diapason des nouvelles méthodes adoptées à l'échelle européenne et mondiale. Lors de la séance d'ouverture, M. Khalil Amiri, secrétaire d'Etat chargé de la recherche scientifique, est revenu sur les objectifs réalisés, jusque-là, en matière de politique relative à la recherche scientifique et à l'innovation. Des défis colossaux ont, en effet, permis la transformation positive —car scientifique— des mécanismes de l'Etat et de l'économie. «Beaucoup reste à faire, néanmoins, dans ce sens quitte à multiplier par cinq sinon par dix les mécanismes afin de relever les nouveaux défis», a-t-il indiqué. Il a rappelé l'impératif, pour les secteurs public et privé, de contribuer au financement de la recherche scientifique. Le secrétaire d'Etat a appelé à la modernisation de l'Etat via l'adoption de la spécialisation intelligente et la révision, ainsi, de la méthode de travail aussi bien des institutions que des entreprises. Les challenges ne peuvent être relevés sans l'implication consciente et consentie de la société ; une société mue par les principes démocratiques, consciente des modalités régionales et sociétales et inclusive. L'innovation doit, à son sens, servir les enjeux socioéconomiques et la recherche scientifique, dans une logique synergique et dynamique. L'innovation ouverte face aux limites d'ouverture Le premier panel de la première journée a été consacré à l'innovation ouverte, qui représente la clef de l'économie de demain. Le Pr Olfa Zribi, modératrice du panel, a saisi l'occasion pour souligner l'intérêt accru à l'internationalisation de la recherche et à l'ouverture de l'innovation sur son milieu socio-économique, et ce, conformément aux directives du programme-cadre européen à l'horizon 2020. Elle a rappelé que l'Anpr ainsi que ses partenaires ont réussi, depuis une décennie, à créer un réseautage d'envergure, obéissant à un mode de fonctionnement adéquat. L'heure est, désormais, à une panoplie de notions modernistes. On parle de plus en plus de « démocratie ouverte», «d'économie ouverte», «d'innovation ouverte». Or, plusieurs interrogations s'imposent d'elles-mêmes : dans quelles conditions est-ce possible?, quels acteurs mobiliser?, quels outils sont nécessaires? L'oratrice a dévoilé l'aspect paradoxal de l'innovation ouverte. Comment peut-on passer à ce mode de fonctionnement participatif d'échange des données, voire des résultats de la recherche et de l'innovation dans un monde régi par les limites frontalières —et pis encore— par le principe de confidentialité des résultats de l'innovation et de la propriété intellectuelle ? D'un autre côté, le monde s'avère être de plus en plus ouvert sur autrui via une hyperconnectivité aux réseaux sociaux, ce qui représente, selon elle, un véritable apprentissage collectif et performant du partage de l'innovation. Transformation de la méthode de travail Entrant dans le vif du sujet, le Pr Leon Gonzalo, vice-recteur des partenariats d'innovation à l'Université polytechnique de Madrid, a défini l'innovation ouverte comme étant une nouvelle manière de voir et de gérer les connaissances politiques dans tous les secteurs sans exception aucune. A son avis, l'innovation fermée a été un pilier fondamental, qui a permis aux politiques de cerner leurs ressources afin de conquérir les marchés. Aujourd'hui, les sociétés devraient saisir toutes les chances qui s'offrent à elles pour partager les connaissances et tirer profit des expériences innovantes. Pour ce, une synergie regroupant tous les intervenants, à savoir les secteurs public et privé, les mécanismes sectoriels, l'université et le tissu associatif s'impose. L'orateur a anticipé sur les résultats escomptés de ce travail participatif, définissant ainsi quatre critères nécessaires à l'innovation ouverte. Le premier consiste en l'élaboration de contrats conventionnels entre les mécanismes de recherche et le monde industriel. Le deuxième est fondé sur des partenariats dans l'optique d'établir une responsabilité partagée, planifier des programmes et des projets qui seront financés par l'UE. Le troisième critère porte sur la capacité de garantir la durabilité desdits projets notamment à moyen et à long terme. Quant au quatrième critère, il consiste en la mise en place d'une plateforme digitale, notamment un portail, qui permettrait de partager les données et sur les problèmes et sur les éventuelles solutions susceptibles de les résoudre. Il considère que, si les portails d'innovation sont accessibles à tous, présentant, d'une manière hebdomadaire, de nouveaux challenges à relever, des solutions innovantes seront suggérées au fur et à mesure. Une évaluation régulière serait à même de faire le tri et de focaliser les solutions les plus innovantes. «L'innovation ouverte constitue une action transformationnelle de notre culture de travail, un changement dynamique de taille au niveau du contexte mondial. Pour le réussir, il est nécessaire d'établir une stratégie bien ficelée, de sélectionner des partenaires externes performants et de redéfinir le processus d'innovation afin de dynamiser davantage la recherche», a-t-il souligné. Et d'ajouter qu'il convient d'être regardant quant au profil des entreprises capables de passer à l'innovation ouverte, mais aussi quant à la flexibilité des procédures, à la réduction de la distance entre les différents partenaires et à la création d'un environnement fiable et performant, aussi bien à l'échelle nationale qu'internationale. Plutôt transversale ! De son côté, le Pr Jean-Charles Guibert, chairman du Minatec et conseiller de l'administrateur du CEA en France, a décortiqué les diverses perspectives de l'innovation ouverte en s'appuyant sur trois champs de vision : la verticalité, l'horizontalité et la transversalité. Le spécialiste trouve, en effet, que la mise en œuvre de la recherche sur le plan socioéconomique est une rude épreuve car entravée par moult contraintes verticales. Pour lui, s'ouvrir sur l'innovation ne rime pas forcément avec l'innovation ouverte. Deux notions qui se ressemblent, en apparence, mais qui diffèrent sur le plan pratique. L'innovation ouverte, dans son sens horizontal, implique la capacité à être compétitif aussi bien au niveau de la recherche qu'au niveau socioéconomique et capable de réussir la synergie des deux domaines complémentaires. Quant à la transversalité de l'innovation ouverte, elle semble être la meilleure solution pour démarrer cette approche sur des bases solides. Pour ce faire, un mécanisme spécifique devrait être mis en place pour regrouper un ensemble de personnes qui se sont investies dans cette mission et à même de donner le plus notamment dans la promotion et la valorisation des start-up. L'approche participative est, à son sens, de mise. Le deuxième panel de la séance plénière a été consacré, quant à lui, à la spécialisation intelligente, qui constitue une solution moderniste pour la promotion de l'intégration de la recherche dans son milieu socio-économique en tablant sur des filières prometteuses, sur des projets ambitieux mais applicables et sur des moyens prédéfinis à l'avance. La spécialisation intelligente promet la restructuration salvatrice de maintes filières économiques et de secteurs stratégiques, notamment celui industriel. Des expériences européennes commencent à donner leurs fruits. La Tunisie se lance à pas lents mais sûrs dans cette démarche.