Par Abdallah Ammami Dans ce grand tourbillon d'actions et de discours qu'est la jeune révolution tunisienne, il nous arrive souvent de froncer les sourcils ou de grincer des dents devant telle ou telle situation; loin d'en prendre ombrage on se dit que la démocratie est faite de tolérance et que nous sommes tous conviés à en faire l'apprentissage. Ce précepte étant rappelé, je me trouve malgré tout obligé de réagir aux propos tenus sur Nessma par les journalistes de cette chaîne qui commentaient le soir du 4 février 2011 des déclarations faites à l'étranger par notre nouveau ministre des Affaires étrangères. La critique d'un ministre en Tunisie est un exercice tellement nouveau qu'il est à l'évidence agréable de l'entendre; mais au-delà de la jouissance d'un droit qui était hier encore un tabou, il est nécessaire de rappeler que si la démocratie est faite de liberté et d'esprit de tolérance elle est aussi synonyme de rigueur, d'exigence et d'aptitude, surtout pour ceux qui s'en réclament le plus, c'est-à-dire les journalistes. Mais qu'est-ce-que les journalistes de Nessma reprochaient à M. Ounaïs ? Deux choses : - Première chose : le silence du ministère des Affaires étrangère vis-à-vis des manifestations du Caire, de Sanaâ, Amman et autres villes arabes. On a entendu à ce propos des commentaires bien naïfs sur l'existence de deux écoles diplomatiques : l'une traditionnelle et l'autre moderne et sur l'appartenance de M. Ounaïs à une classe de politiciens déphasés, dépassés par les événements et sans prise réelle avec la diplomatie moderne. Tout cela parce que notre ministère des Affaires étrangères n'a pas fait sonner les trompettes pour annoncer notre soutien aux peuples arabes opprimés qui veulent se frayer un chemin sur la route balisée par la Tunisie. Pourquoi ne pas demander à M. Ounaïs d'assumer le rôle d'un Castro des années 60 ou d'un Khomeini des années 80 ? S'engager sur cette pente, c'est simplement oublier que toute diplomatie ancienne ou moderne a pour impératif la sauvegarde de l'intérêt de la nation. Serait-il présomptueux de rappeler à nos journalistes que la Tunisie a son propre contexte géopolitique ? Nos voisins immédiats, nos investisseurs du Golfe seraient-ils si heureux d'entendre le son de nos trompettes? Et puis qu'avons-nous à propager, quelle doctrine à vendre? La liberté ne se vend pas, elle se ressent, elle s'acquiert. Appeler les autres à suivre la Tunisie, c'est considérer que la liberté peut faire comme tout autre produit l'objet de campagnes publicitaires. Comment ne pas se rendre compte d'une vérité première : notre liberté dérange. Pour la première fois une société arabo-musulmane a secoué son joug. Nos partenaires économiques et financiers, à l'exception des Européens, sont-ils si heureux de l'aboutissement de notre révolution? - Deuxième chose : les journalistes de Nessma se sont dits révoltés par le fait que M. Ounaïs ait qualifié la période de Ben Ali de «simple parenthèse» dans le cours de l'histoire de la Tunisie. Doit-on leur rappeler qu'en cela il a eu profondément raison. En effet, la définition d'une parenthèse est de situer ce qui est étranger au contexte (voir dictionnaire). Et donc parler de la période Ben Ali en ces termes, c'est simplement rappeler qu'elle est dans sa nature et dans ses pratiques en contradiction avec le cours naturel de l'histoire de la Tunisie. A ce propos, la période de Vichy en France était une période à «parenthèse» parce que ce pays qui a enfanté la révolution de 1789, la Déclaration du citoyen et des droits de l'Homme et qui a été le foyer de la philosophie des Lumières, a fini par avoir son Pétain. Aujourd'hui, la période 1940-1944 est la période à parenthèse de la France. Quoi de plus naturel pour notre ministre des Affaires étrangères que de parler aux Français en leur disant que l'ère Ben Ali est notre période à parenthèse. Il ne s'agit pas là d'un mensonge diplomatique. Ben Ali, avec ses excès, sa soif inextinguible de biens, son comportement de prédateur, a été réellement une parenthèse dans l'histoire de notre pays. Vouloir s'en offusquer et surenchérir n'est pas à l'honneur de Nessma.